« Le temps n’épargne pas ce qui se fait sans lui »…
Au moment de commencer le récit du moment partagé au Clos de Quarterons à Saint-Nicolas-de-Bourgueil, c’est à ces mots de Laurent Herlin, le complice de Xavier Amirault chez qui nous nous rendons, que je pense avant tout.
Depuis bien longtemps, j’arpente les sentiers de vignes un peu partout et il faut bien le dire, de manière quelque peu désordonnée, au fil de mes envies et surtout contraintes. Au cours des premières années, une certaine frénésie m’y faisait courir, survolant les vignobles, accélérant sans cesse pour en voir davantage, expédiant parfois les conversations. Galopant d’un domaine à l’autre, d’une parcelle à la suivante, d’un chai à celui du voisin, cette soif de découvertes rendait une vraie connexion avec les terres que je visitais et les hommes qui y travaillaient plutôt aléatoire.
Le cabri a pris de l’âge, ses élans se sont calmés, la vigne est apparue autrement, bien plus irrésistible encore.
Ce vendredi 15 mai 2015, foulant le sol meuble, en apparence ébouriffé et vagabond mais si accueillant des vignes de Xavier, en sentant mes pas s’y enfoncer, comme si la terre presque mouvante souhaitait m’y offrir l’asile, j’ai éprouvé plus encore que d’habitude le besoin de prendre ce temps trop peu respecté par le passé. A genoux entre les rangs, j’y ai plongé mes narines vers le sol, pris l’argile dans mes mains, guetté la vie omniprésente, laissé glisser entre mes doigts les poussières de terre, surprenant l’espace d’un instant une habituée du biotope local et en présence de mes amis, me suis senti heureux. Tout simplement. Les sourires qui m’entouraient à ce moment et la douceur des échanges me laissaient croire que je n’étais pas le seul.
Quelques minutes auparavant, pendant le trajet vers Saint-Nicolas-de-Bourgueil, une vibration discrète se fait ressentir. Un message ami. On s’active là-haut dans les vignes. Franck et Laurent sont presque prêts. La table de dégustation est la même que celle qui fêtera nos agapes. Dressée dans le plaisir de recevoir et de partager, elle nous attend. Le temps de passer au Clos des Quarterons pour y retrouver Xavier qui nous servira de guide et le wine-car s’engage dans les petites routes sinueuses du vignoble, vers le « Vau Renou ».
Nous passons des premières terrasses sableuses, les plus proches du fleuve, aux élévations successives du coteau, là où silices et calcaires viennent se mêler à l’argile, mais pas seulement. Là aussi où l’une ou l’autre porte en bois nichée dans le flanc de la colline laisse imaginer la présence de galeries.
Il me tarde de respirer la vie dans les vignes de Xavier. Pas loin des siennes, des parcelles témoignent d’une approche si différente du vivant dans la nature. Pour ceux qui n’ont jamais pu mesurer la force de ces différents choix, le spectacle sera saisissant. Nul besoin d’encyclopédie pour comprendre.
Biodynamie, quand tu nous tiens…
Quelle est son approche de la terre et de la biodynamie, réservée à la trentaine d’hectares de la propriété ? Une approche humble, raisonnée et raisonnable, qu’il résume dans un désordre sympathique comme ceci… Travailler en biodynamie, c’est nourrir un environnement plutôt que les plants eux-mêmes, individuellement. C’est aussi être paysan avant d’être vigneron. C’est encore adapter les traitements à la spécificité de chaque parcelle, tenter de « sentir » quand et comment il faut intervenir. C’est enfin prendre conscience de la nécessité de partages d’expériences entre vignerons, accepter un nouvel inconfort pour aller vers un mieux, se remettre souvent en question et ne pas être obtus en prenant des risques totalement inconsidérés.
Si Laurent Herlin, venu à notre rencontre sur les terres de Xavier peut contester, le sourire aux lèvres, la distance évoquée par celui-ci pour aller de Benais à Restigné, il partage sans hésitation cette approche de la viticulture en Biodynamie, approche si joliment imagée par les mots d’une femme prématurément enlevée à la terre de Loire qu’elle aimait tant. Anne Graindorge disait ceci : « Nos vins, vivants de la Terre au Ciel ».
Xavier, Laurent, Franck… Réunis cette fois dans une joie si différente des sombres circonstances qui les avaient rapprochés, un peu plus d’un an auparavant. Quel plaisir pour moi de voir ces trois hommes autour de nous pour nous offrir le partage du souffle de ce qui les anime.
Dégustation dans les vignes
Le groupe prend position autour de la table et c’est au tour de notre géant préféré de se présenter. Quel parcours… Laurent, l’ancien ingénieur en informatique, pendant douze ans tout de même, s’écoutant en réunissant ses passions du vin et de l’écologie, reconverti en vigneron bio, donne l’impression de s’excuser de ce qu’il fait à chaque phrase. Le penser est une erreur. Il est simplement attaché à l’humilité qui lui semble si naturelle face à la force des éléments naturels : le climat, le sol, la plante et tous les autres facteurs d’influence que personne ne peut vraiment maîtriser. Selon ses propres dires, il accompagne le vin plus qu’il ne le fait. Xavier confirme. J’avais déjà entendu ces mots dans la bouche d’Antoine Sanzay, talentueux vigneron de Saumur-Champigny. Sacrée brochette de talents que ces hommes qui ne font pas trop de bruit mais dont les vins parlent un si joli langage.
Se remettre en question, tester, se transformer en Panoramix au moment des préparations, discuter avec les copains vignerons pour se rassurer, s’endetter encore pour agrandir sa propriété et éviter de devoir acheter du raisin ailleurs, ce qu’il a déjà fait… Si l’on tient compte de la réalité qui démontre que l’équilibre financier d’un « jeune » domaine de 6 ha à peine comme le sien ne résisterait pas à une succession de millésimes difficiles, l’adoption assumée de cette prise de risques est remarquable. Nous le disons à sa place.
Et puis, Franck, qui ne fait pas que boire des poèmes. Aujourd’hui, il a choisi de lire. C’est difficile, lui et moi en savons la source; sa voix hésitante raconte son émotion. Les premiers mots sont tremblotants mais il entre dans le texte et finit par s’y laisser emporter. C’est un doux prélude au partage du vin à qui nous laissons maintenant place.
La dégustation peut commencer, les yeux et sourires s’écarquillent encore…
C’est un va-et-vient entre les deux domaines car Laurent a aussi apporté quelques flacons de sa gamme, intercalés dans la série du Clos des Quarterons.
Les vins de Laurent Herlin et Xavier Amirault sous nos papilles
De Laurent, nous goûtons :
- En Vin de France, « Cintré 2013 », un rosé mis en bouteille avec quelques sucres résiduels et le gaz provenant de la fermentation, 100% cabernet franc, épuré et tendu, exubérant en saveurs de sureau, rhubarbe et groseille verte, élevé en barriques de 4/5 ans, qui fait sa place malgré l’écueil du millésime vraiment difficile. Un vin étonnant, original, aiguisé comme une lame et tonique. Il titre 10%/vol… Appel est fait à notre modération.
- Ensuite, le bourgueil « Tsoin-Tsoin », issu d’un cabernet franc en macération carbonique, frais et gourmand, de texture pulpeuse et croquante, tout en légèreté sur ses notes de fruits rouges frais. Un vin de soif au sens noble du terme, juteux et dynamique.
- Enfin, le bourgueil « Terre d’Adoption 2013 », issu d’une vendange égrappée d’un terroir argilo-calcaire. Une cuvée tendre et fruitée mais non dénuée de structure, portée par une fine minéralité qui ne voile pas un fruit bien présent (cerise du nord). L’assagissement de l’ensemble est en bonne voie.
- Laurent n’a pas apporté sa formidable cuvée « Illuminations » et s’en explique. Si vous la croisez sur votre chemin de découvertes, n’hésitez pas.
De Xavier, nous goûtons :
- « Les Quarterons », un Cremant de Loire brut (11g/l de résiduels) issu d’un assemblage de 60% de chenin, 30% de chardonnay et 10% de cabernet franc (introduit pour la vinosité j’imagine). Sous des airs de simple tonicité citronnée, voici une jolie fine bulle, qui complète sa gamme d’agrumes par des notes aériennes et florales (verveine, tilleul) s’associant à l’enveloppement du registre miellé et du pain grillé à l’aération. Résistons, résistons… et le soleil brille. Autour de moi, j’en atteste, on avale. Mon crachoir sera donc la terre. Et quelle terre ! Vivante disions-nous ?
- « Les Quarterons 2013 » en rosé, tendre et convivial, issu de jeunes vignes et vinifié en saignée, en subtilité et qui gagnerait à gagner quelque peu en vinosité mais le millésime ne permettait pas tout…
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La cuvée « Les Quarterons 2013 » en rouge, née sur sables essentiellement, nous attend. C’est l’occasion de rappeler, au risque d’être caricatural et d’en raser quelques-uns mais comme ça chacun a des chances de s’y retrouver, qu’en Touraine (et parfois ailleurs, selon les cépages), les sols de graviers offrent des vins plutôt souples et gourmands, à boire dans le plaisir de leur fruit juvénile tandis que les sols argilo-siliceux ou argilo-calcaires présentent des cuvées qui font souvent appel à notre patience, parce que structurées, de chair plus épaisse et présentant une envergure plus ambitieuse. Bon, revenons à nos Quarterons… Le raisin nous offre aujourd’hui un jus qui n’a « trouvé sa place » qu’au printemps suivant. Et le bougre se paie le luxe de « pinoter » en finale ! Fraîcheur, gourmandise du panier de fruits (myrtilles, airelles, sureau) mais pas seulement, terre, encre… Franc et longiligne, diablement gourmand.
- Et voici les « Gravilices 2011». Triés sur cep et table à l’entrée du chai (vraiment indispensable en 2013 sous peine de lourdes interventions postérieures en cuves), les grains qui se sont épanouis sur un sol composé de graviers, mâchefer et alios portent un vin marqué par les notes de cerise noire, cacao et réglisse, paré de tanins gourmands et partiellement lissés. J’avoue un coup de cœur pour cette cuvée, au fruité intact après 4 ans, qui a montré une ossature de qualité, dense et savoureuse, mais extrêmement digeste.
- Enfin le « Quarterons Vieilles Vignes 2012 », né de vieilles vignes enracinées sur 3 types de sols différents et séjournant en demi-muids (environ 30% de bois neuf), pendant plusieurs mois. Le cabernet franc est bien là, mais encore en lutte avec le registre grillé/fumé. Un vin de garde, musclé et élancé à la fois, qui appelle notre patience et que pour ma part, je trouve encore trop jeune, bien que le fruit soit expressif. C’est décidé, je l’encave.
Plaisirs liquides en profondeur et solides en surface
Pour cette dégustation, tout ce qui est blanc ou rosé se déroule à l’air libre, expression choisie pour ce lieu où les hommes se mettent en retrait mais en observant ce qui s’y trame, tandis que les vins rouges sont dégustés à quelques encablures de là, dans les entrailles du Vau Renou, là où les galeries de la famille Amirault accueillent depuis les années 60 l’élevage de leurs cuvées dans des barriques de 500 litres, à 13°C constants.
Il est temps de retourner dans les vignes. Un pique-nique aux accents mi-rabelaisiens mi-breugheliens nous y attend et c’est dans la chaleur et la simplicité des coups de couteaux en terrine, du pain rompu, des bouchons extraits et des éclats de rire non retenus que nous poursuivons l’échange, certains choisissant pour la digestion une sieste au pied des rangs, d’autres préférant pratiquer leur traditionnelle ponction de sol pour leur collection.
Il faut avancer, même si plusieurs d’entre nous verraient bien le temps s’arrêter là, pour une durée indéterminée. Les commandes se finalisent, les adorables discussions de couple qui y sont liées prennent doucement fin (« Tu ne serais pas raisonnable, cette fois? » « Plus de place dans la cave et tu le sais! » « Et qui va boire tout ça, hein? ») et pendant que Laurent, assis sur le bord du coffre de sa camionnette, réalise avec la sympathique petite file qui attend que ses vins feront des émules en Belgique, Xavier est redescendu au village, pour la préparation de commandes qui ne font ni peur ni honte à personne, excepté peut-être aux chauffeurs qui cette fois, voient la menace se préciser. D’autant plus qu’ils n’ignorent rien du rendez-vous que nous avons avec Guillaume et Adrien Pire le lendemain, au Château de Fosse-Sèche.
Chacun l’aura compris, comme lorsque nous nous sommes retirés de chez Philippe Lamé et sa famille, le moment de quitter Laurent Herlin et Xavier Amirault ne fait pas partie de ceux que nous préférons. Pourtant, un autre rendez-vous nous attend en soirée, gastronomique par une autre approche.
Précisons par ailleurs, mais ça ne surprendra personne, que le temps libre prévu dans l’horaire en fin d’après-midi pour mieux connaître la si belle cité de Chinon, a disparu au rythme adopté par les agapes.
C’est un wine-car cette fois plus à la peine qui se traîne quelque peu vers l’hôtel, alourdi par nos provisions de souvenirs locaux. Comme si lui non plus n’avait pas vraiment envie d’y retourner…
J’avais naïvement imaginé vous conter la soirée gastronomique vécue le soir même à l’Auberge de l’Ile à l’Ile Bouchard mais ce sera pour le prochain billet, le dernier de cette série. Il me revient que je suis parfois un peu long… Dès lors, merci à ceux qui sont arrivés jusqu’ici!
Q.
Pour en savoir plus sur la biodynamie, voici un article sérieux.
Pour connaître l’aventure vigneronne de Laurent Herlin, c’est ici...
Pour mieux comprendre le travail réalisé au Clos des Quarterons de Xavier, Thierry et Agnès Amirault, c’est là…
Pour faire connaissance avec l’univers de mots de mon ami Franck, Buveur de poèmes, c’est par ici…
Voici le lien vers l’album photo contenant d’autres clichés de cette visite: album photo Loire
Et pour vous faire déjà saliver, voici le moyen de découvrir l’Auberge de L’Ile à l’Ile Bouchard.
Quelle belle et agréable lecture ! Merci Monsieur Quitou du partage généreux que vous voulez bien nous faire avec vos billets ! On sent l’ambiance, on ressent bien la passion, le bonheur du partage ! MERCI
Très bon article – des vignerons émérites en Loire, qui savent allier qualité de leur travail et humilité.
Merci!
Merci Guillaume. Oui, portons le travail de tels artisans!