« Quitou Wine Travel » débarque en Alsace…
Aussi loin que puisse remonter l’exercice de mémoire, il m’est impossible de dater ma première incursion en terre d’Alsace. L’un ou l’autre souvenir d’enfance, évoquant plutôt les images stéréotypées associées à la région puis, au fil du temps, cette douce sensation d’y prendre progressivement racine, comme un jeune plant en apprivoisement d’un territoire dans lequel il se sent chaque jour davantage à sa place.
La graine de passion a donc été semée il y a bien longtemps sur ces contreforts du massif des Vosges, lorsque la vigne ne représentait pour le gamin impétueux que j’étais qu’un terrain de jeu sans limites. Des jeux qui, à l’époque, n’accordaient au raisin qu’un rôle de pâle figurant. Sans le réaliser, je posais pourtant les premiers jalons d’une vibrante complicité avec cette terre. Les années passant, elle n’aurait de cesse de se renforcer. Il restait alors à en partager les bienfaits avec ceux qui y seraient sensibles.
Aujourd’hui, le chemin qui mène aux merveilleuses ondulations du relief alsacien fait partie de ceux que je peux parcourir les yeux fermés, en sifflotant et le cœur léger, le pouls battant plus vite à l’idée de retrouver une terre devenue familière, dont il me plaît parfois d’imaginer qu’elle m’attend. C’est encore plus vrai lorsque je suis accompagné d’amis.
Chaque occasion fait l’affaire, chaque prétexte est saisi. Parfois c’est vrai, il s’agit plutôt d’un alibi, auquel j’ai bien peur d’être le seul à croire : une partie de ma cave qui s’est vidée plus vite que prévu, un vigneron qu’il faut absolument aller saluer, une météo qui appelle au voyage, une envie de noël alsacien ou de vadrouille estivale sur les collines sillonnées de règes. Et en automne, vous avez déjà essayé ? La palette présente autant de couleurs qu’il y a de cépages. On l’aura compris, tout fait farine au moulin. Ou levures en cuve si vous préférez.
Lorsqu’il a fallu décider de la troisième destination de voyage pour le groupe de passionnés que j’entraîne dans mon sillage viticole, l’Alsace s’est donc imposée naturellement. Dès le début de la préparation de ce périple, il y a quelques mois, je m’y projetais déjà, nourri par tout ce que je rêvais d’y partager avec mes amis. Et si cette expédition a largement dépassé ce que j’en avais imaginé, c’est avant tout à chacun de ses participants que je le dois.
Avant d’affronter les Grands Crus
Ce samedi 7 juin, lorsqu’une trentaine d’entre eux (d’autres nous rejoindront sur place) franchit à l’aube la première marche du car qui va les emmener sur le Front de l’Est, aucun ne peut imaginer ce qui l’attend mais les yeux pétillent déjà, c’est un signe. Tout est à écrire, ensemble. Les rendez-vous sont fixés.
Le premier d’entre eux se résume en un claquement de bouchon vers 7h15, pour accompagner les croissants. Plus aucun regard incrédule dans l’assemblée vis-à-vis de cette tradition, pas même chez ceux qui voyagent avec nous pour la première fois. C’est le crémant d’Alsace de Franck Hartweg qui est choisi. Quand vient le moment des repasses, les verres se tendent malicieusement. Notre week-end est cette fois sur orbite favorable.
A cet instant, je frissonne secrètement d’impatience, à l’idée du deuxième rendez-vous de cette première journée. Rencontrer enfin un autre Franck, dans le prolongement d’une histoire née par l’écrit, il y a quelques mois, dans les sombres remous d’un fleuve roi qui a vu ses eaux se gonfler subitement de tristesse, comme ça, sans préavis. Mais ça, c’est une autre histoire. Plus précisément, une histoire dans l’histoire.
Cette fois, on ne prend même plus la peine d’occulter les fenêtres pour éviter les jumelles de la maréchaussée… Nous trinquons joyeusement à l’aube, presque fièrement. Vous avez déjà essayé ? C’est bon les bulles de grand matin. C’est tonique et digeste, ça vous fouette et vous met de bonne humeur. Vous trouvez soudainement le café bien pataud… Vos soucis s’envolent et la parenthèse dans votre quotidien s’ouvre en même temps que la bouteille.
Catherine et Véro s’activent déjà, fourmillant d’idées pour rendre ce petit-déjeuner en espace restreint le moins inconfortable pour chacun. Elles n’en sont pas à leur premier essai. Redoutable efficacité souriante que celle de ce duo-là…
Nous avons rendez-vous dans le paisible petit village de Hunawihr qui pour l’anecdote, compte presque autant de cigognes que d’habitants.
Mais avant, détour par Turckheim, pour aller chercher Franck. Il est là, sous le cagnard, tranquillement assis sur un trottoir, venu en confiance depuis Paris passer trois jours avec une troupe dont il ne sait rien. Vous le feriez, vous ? Je n’ai partagé son histoire écorchée qu’avec mes proches. Les autres ignorent tout. Ils se trouveront, je suis confiant.
Sous le lavoir historique de Hunawihr, c’est l’heure du pique-nique, on s’affaire. En guise de comité d’accueil, le village a envoyé son plus digne représentant. Le maire ? Pas du tout, un volatile impérial qui s’est fendu d’un atterrissage forcé devant nos yeux ébahis, digne des plus beaux exploits d’Orville, l’inénarrable albatros de Bernard et Bianca, avant de partager (le mot est faible) notre pique-nique.
Deux tire-bouchons s’agitent, les langues se délient, on prend des forces pour la balade des grands crus qui nous attend. Tout se met en place, avec fluidité. Entretemps, le groupe s’est enrichi de nouveaux éléments, venus d’Allemagne ceux-là… La touche pause qui a vu Christian s’effacer de ma vie est resté bien involontairement enfoncée pendant plus de trente ans. Nous venons de la réactiver, presque par hasard.
L’idée est de franchir la colline des grands crus pour plonger ensuite vers Riquewihr. Le Rosacker est là, en face de nous, avec son Clos Sainte-Hune, immense terroir calcaire pour le Riesling, où la famille Trimbach développe tout son savoir-faire, nous livrant des crus passionnants, à la longévité proverbiale.
Ascension puis plongée en cave
La troupe s’ébranle doucement à l’assaut de la colline, sous les 36°c que des cieux très cléments nous ont réservé. Passage obligé, pour les filles surtout, par les soubassements de l’église fortifiée emblématique du village, qui veille sur les vignes telle une sentinelle figée.
Je ne sais s’il faut attribuer le visage déjà rougeaud de certains au vin qui a arrosé le pique-nique ou à ce premier effort… Personne n’osant me demander si on est encore loin ou « quand est-ce qu’on boit? », je choisis courageusement la fuite vers l’avant pour ne pas m’exposer plus qu’il n’en faut à d’éventuelles questions gênantes mais surtout parce qu’il me tarde de rejoindre les rangs de vignes de la belle colline (Schoenenbourg).
La montée (ascension affirment certains) se déroule tranquillement, balisée par quelques haltes pédagogiques qui me donnent l’occasion de raconter la magie des lieux que nous traversons. Notre salle de dégustation s’est déplacée sur ces terres inondées de soleil. Tout y semble tellement plus facile à expliquer, à partager.
L’origine des grands crus, le complantage, les expositions, l’invraisemblable diversité géologique de la région, l’observation des différentes manières de traiter les vignes, ou de les maltraiter… Les thèmes ne manquent pas, à l’inverse du temps qui s’écoule si vite.
Au sommet c’est l’enchantement, pour deux raisons. La première, c’est que chacun a compris qu’il n’y a pas moyen d’aller plus haut. La seconde, c’est l’invraisemblable panorama qui s’offre à nous. Tout en bas, le joyau que constitue Riquewihr, village miraculeusement épargné par les bombardements de la seconde guerre mondiale, qui a pour grande partie conservé son architecture du 16ème siècle.
Puis plus loin, vers l’est et le nord-est, à portée de bouchon, Zellenberg et Beblenheim, où nous attend le premier vigneron de notre expédition. Enfin, face à nous et au-delà du village, le Grand Cru Sporen, véritable perle argileuse nichée dans un écrin qui sublime le gewürztraminer. Et nous nous surprenons à nous dire que nous resterions bien là…
Pour l’heure, nous foulons les terres du Schoenenboug, revigorés par la promesse exprimée d’une première dégustation. Ce Grand Cru est un joyau au sein duquel le riesling occupe une large place. Son tempérament est magnifique. Une grande partie de la colline est exploitée par l’illustre famille Hugel, qu’on ne présente plus. Le sol y est évolutif, comme son empreinte sur les vins, au fil de leur évolution. Argilo-marneux, puis pailleté de bancs compacts de calcaire et enfin, dans la partie supérieure, complété par le célèbre grès rose des Vosges.
Le point commun entre ces deux grands crus ? Leur capacité, malgré des typicités géologiques différentes, à retenir l’humidité. Dans une zone qui souffre de manière récurrente de sécheresse, éviter le « stress hydrique » aux vignes est un sérieux atout.
Nous plongeons vers le village à travers les pentes abruptes et je sens bien que je ne dois l’absence de remarques désobligeantes qu’à l’affection encore intacte que la troupe me porte. Traversée de Riquewihr depuis la porte haute, passage recueilli devant les maisons qui se sont tristement mais violemment embrasées cet hiver, puis pose devant chez Hugel.
L’heure de l’eau est maintenant révolue. Parce que nous n’avons pas vraiment le choix, nous laissons notre Angèle se rendre coupable de quelques achats (entre deux photos) sous les yeux pétillants mais résignés de son René. Les gosiers trépignent. Pour le court trajet vers Beblenheim, nous reprenons un car dont les soutes réalisent à cet instant que leur heure de gloire approche.
Le domaine Bott-Geyl à Beblenheim
Du Bas-Rhin au Haut-Rhin, sur près de 180 kilomètres, le vignoble d’Alsace accueille plus de sept mille vignerons. Il a fallu en choisir trois… Imaginez ma peine. L’objectif de nos voyages est de présenter des visages de domaines différents par l’esprit de travail, le style des vins, la taille et la situation de la propriété, le prix des bouteilles. Cette fois encore, à l’image de nos précédentes expéditions en Bourgogne septentrionale et en Montagne de Reims, les portraits des vignerons qui nous accueillent sont donc très contrastés.
J’ai approché pour la première fois les vins de Jean-Christophe Bott (domaine Bott-Geyl) au milieu des années nonante, au moment où la fougue de sa jeunesse lui faisait croire qu’il était indiqué de produire des monstres d’opulence et de richesse, si possible parés de taux de sucres résiduels imposants. A cette époque, face à une telle exaltation, les terroirs exploités par le domaine se repliaient sur eux-mêmes, faisant le gros dos en attendant sagement que leur heure vienne et que l’homme s’assagisse. Autant l’avouer, j’aimais alors ces cuvées triomphantes d’exubérance. Depuis, du vin a coulé sous les ponts et à plus de cinq cents kilomètres de distance, les deux Jean-Christophe ont appris chacun à leur manière à apprécier les subtilités des différents terroirs, absorbées par des cépages enfin respectés dans leur typicité variétale.
D’autres vins sont nés, bouquetés et caressants mais sans excès, sur la retenue dans leur jeunesse mais intensément racés et porteurs de tant de promesses. Dernier détail – qui n’en est pas un – Jean-Christophe Bott travaille en agriculture biologique avec des principes de biodynamie pour renforcer le végétal et prévenir les maladies. Et dans sa cave, quand le raisin est rentré, tout se passe par gravité.
Dès les premiers flacons, chacun prend conscience que nous sommes en présence de crus subtils et puissants à la fois, dont les tensions finement acidulées en bouche accentuent l’élégance et la tonicité. La dégustation se déroule dans un climat presque recueilli, la force subtile des vins imposant son autorité naturelle, en douceur.
Impossible dans ce billet de décrire tous les vins dégustés. Pour chacun des trois domaines, je me limiterai à un seul cru, emblématique de l’esprit de travail du vigneron. Choix cornélien s’il en est…
Riesling Grand Cru Mandelberg (Coteau des amandiers) 2010
Robe jaune pâle scintillant. Au premier nez, minéralité naissante, subtilement fumée, rapidement rejointe par un fruité mûr et incisif à la fois (mandarine, écorce d’orange). En bouche, de la tenue et du corps mais quelle élégance… Les saveurs toniques d’agrumes se mêlent à des notes plus mûres de mangue et ananas. Les 30gr. de sucre résiduel sont fondus dans l’ensemble, intégrés par une jolie acidité. Finale épurée, sapide, confirmant que le Mandelberg n’a pas son pareil pour gérer l’acidité parfois excessive du raisin. Un cru de très belle évolution, en parfait équilibre.
Avec du recul, chacun reconnaîtra l’exceptionnel niveau qualitatif des vins de ce domaine, nés d’une philosophie de travail qui a un prix. La grandeur de ces crus se situe dans leur rare élégance et leur capacité à défier le temps. Lorsqu’ils auront sommeillé le temps nécessaire dans nos caves, mettant à rude épreuve notre patience, nous nous souviendrons de ce moment avec un seul regret, celui de ne pas en avoir acheté davantage.
Il fait chaud. Terriblement chaud. Nous quittons presque à regret la fraîcheur de la cave pour rejoindre l’hôtel qui nous accueille dans le village médiéval des Comtes de Ribeaupierre, Ribeauvillé, siège de la plus ancienne cave coopérative de France (1895).
La dernière salve de notre première journée sera tirée dans la charmante cité de Scherwiller, à quelques encâblures de là, au restaurant « A La Couronne ».
Cet établissement, célèbre dans toute la région, pour sa cuisine locale si goûteuse mais aussi son glorieux « chiotilus », est tenu de main de maître par des amis, Christine et Didier Roeckel. Il représente à mon sens une étape incontournable sur la Route des Vins d’Alsace. Pour l’anecdote, on vous y tient au courant des positions de la gendarmerie locale, très active et toujours en éveil, surtout le week-end.
Malgré la température apparemment hostile à ce type de festivité gourmande, le groupe s’attaque courageusement aux tartes flambées, sans se douter du défi que posera ensuite une choucroute royale dont chacun se souviendra… Personne ne sort de chez Didier en ayant faim, il y met un point d’honneur. Le vin s’écoule, quelques bières apparaissent sur notre immense table, les rires fusent. Franck a manifestement amené François Rabelais dans ses bagages.
Le programme et la choucroute ont eu raison des plus résistants. Le retour se fait dans la sérénité d’un premier devoir épicurien accompli. Le calme est revenu sur les collines et dans les caves d’Alsace. Ça ne durera pas.
Q.
La suite du récit de nos exploits en terre d’Alsace? Le billet suivant est déjà annoncé…
Pour en savoir plus sur le domaine Bott-Geyl, c’est par ici…
Pour découvrir l’offre du restaurant A la Couronne de Scherwiller, c’est par là…
D’autres informations sur les vins d’Alsace? Par ici…
Comme d’habitude Quitou met de l’émotion dans ses voyages et dans ses mots.
Il nous fait rencontrer des vignerons où chante la poésie.
Tout au long de ce séjour Alsacien, le soleil était présent, mais il était aussi présent dans les cœurs.
Au fil des années, nous pouvons dire qu’il y a une belle complicité entre chacun et chacune de nous, les nouveaux ont été accueillis les bras ouverts je pense.
Merci Quitou pour ce premier billet, où tu nous fais revivre des moments magiques…
Patricia ( Patounette).
Comme d’habitude Quitou continue de nous faire voyager dans l’émotion et la curiosité de découvrir.
Merci Quitou pour ce premier billet et pour toute ta générosité.
Patricia (Patounette).
Merci Patricia… Vous et les vignerons êtes les acteurs essentiels de ces échanges. Toutes ces rencontres, autant d’histoires à prolonger. Tout n’est pas dit, bien sûr 😉 A bientôt!