Le Languedoc : un fabuleux retour vers le vin après tant d’égarements
Curieux destin tout de même que celui de ces appellations qui, il n’y a pas si longtemps, inspiraient méfiance, froncements de sourcils voire sourires grimaçants et dont la production actuelle fait l’objet de toutes les convoitises. Aujourd’hui, plus personne ne l’ignore, le masque languedocien est tombé. Cette région, portée par une incroyable palette de terroirs, affiche de très solides ambitions, relayées par des acteurs du terrain de plus en plus nombreux à avoir enfin compris le réel potentiel de leur immense vignoble.
Le Languedoc, devenu zone de refuge pour amateurs et professionnels en quête de vins authentiques, nous présente un chapelet de terroirs aussi passionnants les uns que les autres, dont la production actuelle place enfin et résolument les tristes images du passé au rayon des souvenirs.
Dans cette immense réserve sauvage, se faufilant entre gorges et causses, depuis les contreforts de la Montagne Noire jusqu’aux portes de Carcassonne, le Minervois est une formidable terre de contrastes, puissamment minérale, qui s’apparente à une pépite. Depuis les terres d’altitude reculées jusqu’aux berges du Canal, l’invitation au voyage se présente à chaque détour de virage, pour le plaisir des yeux, mais aussi à chaque dégustation, pour le charme de nos papilles.
Le temps des vins délavés issus de rendements exorbitants ou de jus chargés d’alcool, annonciateurs de lendemains douloureux, semble dans l’ensemble bel et bien révolu. Nous gagnons toutefois à rester vigilants car les effets d’annonces ou campagnes de marketing bien orchestrées ont déjà largement prouvé leur capacité à occulter (un temps seulement) la relative faiblesse de certains flacons, portés par des artifices en tous genres.
Livraison inattendue
Arrivée récemment, une caisse annoncée il y a quelques temps mais que je n’attendais plus vraiment m’a replongé sans préavis dans ces champs de carignan (le mal-aimé enfin réhabilité), cinsaut et grenache, rejoints par la syrah et le mourvèdre, qui dévalent depuis les hauteurs des reliefs vers le Canal du Midi. Quand je l’ai ouverte, c’est une bouffée d’air tiède qui a envahi mes souvenirs, cette même brise qui fait onduler les feuilles des platanes du petit port de Homps, sous lesquels j’ai eu tant de plaisir à me poser à plusieurs reprises, un verre à la main, au retour d’expéditions en pays cathare.
Alors je me suis laissé faire, vous vous en doutez, guidé par une insatiable soif de (re)découvertes. Qu’allaient me réserver ces vins venus de terres lointaines ? Où se situaient-ils dans la hiérarchie minervoise ?
Le château Tourril, repris en 1998 par deux passionnés du terroir languedocien, souhaite manifestement connaître l’écho que suscitent ses différentes cuvées en Belgique. Ça tombe bien, plusieurs avis au sujet des vins de cette propriété m’étant déjà parvenus, sans que je puisse les valider. Parfois contradictoires, certains soulignent la typicité et la profondeur des différents crus de la maison, d’autres relevant une émotion gustative trop peu en rapport avec les importants investissements réalisés au sein du domaine.
L’occasion de pouvoir alimenter ces débats passionnés avec mon propre ressenti m’ayant été donnée, me voici immergé au pays des capitelles et des canyons, espérant secrètement pouvoir ajouter un nom à ma liste actuelle de préférence du pays Minervois (Château de Fauzan, Clos du Marbrier, Château Villerambert Julien, Clos Centeilles, Domaine de la Rouviole, …). Pour cela, place au tire-bouchon, aux verres et au crachoir.
L’appellation Minervois, un réveil très tardif mais impressionnant
Autant le savoir pour mieux comprendre son réveil, l’appellation revient de loin. Reconnue par l’ I.N.A.O en 1985 seulement, ce qui illustre si besoin sa longue traversée du désert, elle a trop longtemps privilégié une tendance productiviste qui faisait globalement loi.
Aujourd’hui, dans la foulée des pionniers locaux de la qualité, la compréhension par les hommes de l’invraisemblable mosaïque géologique des différents secteurs (on ne plante pas n’importe quoi n’importe où) et de l’évolution des marques climatiques (plus on s’enfonce dans l’arrière-pays, moins l’influence méditerranéenne se fait présente) rend la découverte des vins du cru Minervois réellement passionnante.
A l’image des décors environnants, certains se montrent splendides et monumentaux. Le fait qu’ils s’appuient selon les spécificités des micro-terroirs sur le grenache, la syrah ou le carignan ne fait qu’en accentuer l’intérêt. Diversité, quand tu nous tiens… Encore une fois, la compréhension par le vigneron des adéquations cépage-sol influencera significativement la qualité des vins, bien avant que la vendange ne rentre au chai.
A mon sens, c’est depuis le milieu des années 90 que les évolutions positives se sont réellement multipliées, la brutalité de certaines cuvées du passé laissant place à une finesse très attendue et le caractère aqueux qui a tant nui à l’appellation s’effaçant au profit d’une sève intense. Au total, près de 5000 hectares accueillent les vignes dans différents secteurs aux typicités extrêmement spécifiques. Du terroir du canal du Midi à celui des Causses, de la zone des Mourels à celles des Trois Vallées ou des Terrasses, le Minervois présente de multiples visages, influencés par la proportion des cépages dans les assemblages ou par la complicité des variétés avec le sol, lorsque le choix du mono-cépage est posé.
La dégustation des vins du château Tourril
Commençons par la production minoritaire de l’appellation, celle qui concerne les blancs (2%) et les rosés (4%).
Château Tourril « Hélios » 2012 – Minervois blanc
Issu du seul cépage roussanne, ce cru a su montrer des qualités de suavité et d’élégance.
Paré d’une robe pâle et limpide, à subtiles nuances dorées, il développe dès l’ouverture un bel enveloppement aromatique, mêlant les notes de fruits blancs mûrs (pêche, poire) aux fruits secs (amande fraîche). A l’aération, notes de tisane (tilleul) et d’acacia.
L’entrée en bouche offre une sensation d’harmonie et d’opulence, l’onctuosité de texture trouvant son équilibre dans une fine acidité tonifiante. Ensuite, d’intenses saveurs de coing et de poire mûre se livrent de concert, dans un ensemble au grain assez serré, ponctué d’une finale subtilement anisée et présentant une légère et agréable amertume rafraîchissante.
Mes accords pour ce vin : tarte fine aux filets de sardines ou mouclade charentaise. Un filet de bar au fenouil serait aussi bienvenu.
Château Tourril « Havana » 2012 – Minervois rosé
C’est l’association grenache/cinsaut qui a été choisie. De quoi viser la douceur tout en conservant de la fraîcheur en quelque sorte…
Rose tendre peu intense, la robe limpide de ce vin de saignée annonce un ensemble délicat. Le premier nez reste réservé ; il s’accentue à l’aération vers les notes de pâte d’amandes et de petites baies rouges (gelée de framboises). Touche de violette.
La bouche confirme la tendresse olfactive. Fluide et souple, elle privilégie les saveurs de confiserie et d’agrumes mûrs, relayées par une légère tension épicée. D’un abord aimable, ce vin plaisant séduira les amateurs de crus friands et faciles d’accès. La finale, évanescente, manque toutefois quelque peu de persistance et de densité. Bien fait, équilibré, mais pourrait gagner en ambition et vinosité.
A déguster : 2014
Mes accords pour ce vin : tarte pissaladière, pâtes au basilic, poulet à l’estragon, soupe de poissons ou bouillabaisse.
Passons aux rouges du domaine. Incontestablement, la domination presque sans partage des vins rouges de l’appellation Minervois témoigne de la vocation originelle de ce terroir pour cette couleur. La remarquable adaptation de plusieurs cépages sudistes majeurs aux spécificités du Languedoc explique en grande partie ce constat. Les plus belles émotions gustatives que j’ai connues en Minervois ont mis en relief tant la richesse que la diversité des vins rouges de l’appellation, qui ont aujourd’hui gagné de haute lutte leurs lettres de noblesse. J’étais donc très impatient de découvrir les cuvées du château Tourril. Vous trouverez ci-dessous les commentaires de 4 cuvées différentes, tant par leurs styles que leurs objectifs de vinification.
Château Tourril « Philippe» 2010 – Minervois rouge
Une recherche de complémentarité et d’équilibre pour cet assemblage (30% de syrah – 30% de grenache – 40% de carignan).
Robe rubis grenat intense, au disque de belle jeunesse encore. Nez franc et expressif, soulignant les accents de baies noires sauvages et d’épices, soutenus par une subtile minéralité.
Au rendez-vous de ce cru lisible et précis, une tension rafraîchissante, illustrée par les baies acidulées (sureau, cassis), soulignée par une finesse de texture appréciable. Longiligne, le milieu de bouche se montre très gourmand, au fruité croquant. Un vin de plaisir immédiat, tonique, pour les agapes entre amis, sans se prendre la tête !
A déguster : 2014-2015
Mes accords pour ce vin : plateau de charcuteries, barbecue, cassoulet de Toulouse ou de Castelnaudary, magret de canard aux cerises.
Château Tourril « Panatella» 2009 – Minervois rouge
Sous l’empreinte de la syrah (80%), ce vin cherche son enveloppement dans les 20% de grenache.
Robe carminée assez soutenue. Premier nez au caractère affirmé, évoquant la minéralité (humus, encre, sous-bois). Le bouquet, en évolution, se complète d’une touche de prune, cuir frais et moka, puis de fumée.
Enveloppé de tanins partiellement lissés, ce cru au grain serré voit sa matière fruitée (baies confiturées) associée aux notes finement toastées. Du gras, un bel équilibre acidité/moelleux mais aussi un léger manque de relief et de définition en milieu de bouche. Impression d’ensemble néanmoins très harmonieuse. Finale sur la cerise confite et le cacao.
A déguster : 2014-2017
Mes accords pour ce vin : lapin aux pruneaux, tajine aux citrons confits, navarin d’agneau aux olives, carré d’agneau aux noix de cajou, cuisse de canard confite.
Château Tourril « 3 Lesses» 2010 – Minervois rouge
Le carignan placé au devant de la scène…
D’une robe pourpre profond, intense, au disque fermé, ce vin présente dès le premier nez une insistante douceur olfactive. D’intenses effluves de crème de fruits (mûre sauvage, griotte) et d’épices douces se livrent de concert, dans une jolie complémentarité.
L’équilibre acidité/gras est présent. Enveloppé de tanins soyeux et assagis, ce cru privilégie l’expression du fruit mûr (myrtilles, cerises au sirop). La bouche, harmonieuse et suave, se montre enjôleuse. Elle confirme son onctuosité en finale tout en conservant une vivacité appréciable. Un ensemble aujourd’hui épanoui.
A déguster : 2014-2017
Mes accords pour ce vin : pintade aux olives, mignon de veau aux champignons, coq au vin.
Château Tourril « Livia» 2009 – Minervois rouge
Quand les plus vieilles vignes de syrah bénéficient de soins tout particuliers… Cuvaison longue, élevage de 14 mois en fûts neufs.
Rubis soutenu, sans signe marqué d’évolution. Particulièrement parfumé à l’ouverture par ses senteurs de boîte à cigares, épices douces, boisé noble (santal) et de zan, ce nez profond et complexe invite au voyage.
De la mâche, une trame serrée, un fruit respecté par un élevage ambitieux mais maîtrisé. Cette cuvée témoigne du potentiel du terroir et du domaine. La syrah y retrouve une splendide expression, puissante mais tout en nuances, où s’associent les flaveurs épicées (genévrier, poivre) et fruitées (mûre sauvage, cassis, sureau). Touche d’olive noire en finale. Ce cru structuré, profond et de belle évolution souligne la qualité du travail fourni, de la vigne à la cuve.
A déguster : 2014-2019
Mes accords pour ce vin : risotto aux truffes, filet de chevreuil grand veneur, lièvre à la royale, faisan à la brabançonne, magret au poivre.
Que retenir aujourd’hui ?
Incontestablement, le travail est ici inspiré de sérieux, maîtrise et détermination. La volonté des repreneurs de la propriété se voit soutenue par les moyens technologiques nécessaires et chacun des vins trouve sa place dans une gamme équilibrée. Ceci me convainc qu’en appellation Minervois, le château Tourril est à suivre de près.
Pour emporter les élans des amateurs de grands vins rouges languedociens puissants et fougueux, tramés et délicats à la fois, donnant une lecture encore plus limpide du terroir, il reste sans doute encore à accentuer l’ambition, la profondeur et l’envergure de crus qui possèdent déjà une ossature de qualité. Je serai attentif aux prochains millésimes de ce domaine que je vous invite à découvrir sans attendre, en confiance.
Je remercie chaleureusement le château Tourril, qui a accepté de soumettre ses vins au test d’une dégustation totalement indépendante, dont il n’est pas inutile de rappeler qu’elle n’est que le reflet d’un instant. Gageons que les Minervois de la propriété sauront dans les prochaines années hausser encore le niveau de leurs ambitions. Tout semble réuni pour y parvenir.
Q.
Amis vignerons de toutes régions, si vous aussi êtes sensibilisés par cette démarche de partage de perceptions, si un avis libre et argumenté rencontre votre intérêt, c’est avec plaisir que je dégusterai vos échantillons avec toute l’attention que mérite votre travail. N’hésitez pas à me contacter par mail si vous souhaitez soumettre l’un ou l’autre de vos flacons à mes dégustations.
Amis lecteurs-dégustateurs, c’est avec tout autant d’intérêt que je recueillerais vos avis au sujet des vins du château Tourril, s’il vous est arrivé de les goûter. Et si vous avez testé avec bonheur un accord gourmand qui concerne les vins rouges de cette si attachante appellation qu’est le Minervois, n’hésitez pas à nous en faire bénéficier par vos commentaires!
Pour en savoir plus sur l’appellation Minervois, c’est par ici … mais aussi ici…
Pour une visite plus détaillée du château Tourril, c’est par là …
L’équipe du Château Tourril vous remercie pour cet article très bien rédigé.
Merci à vous d’avoir accepté de me laisser travailler en toute indépendance. La qualité d’ensemble de votre travail induit une réelle confiance pour les prochains millésimes.