Rencontre truffée d’intérêt, avec des Vignerons de Caractère …

Dentelles de Montmirail

Ou comment l’utilité de la dégustation se confirme à chaque instant…

Un des aspects les plus grisants du vécu du dégustateur se trouve à coup sûr dans la capacité qu’a l’univers du vin à surprendre, faire rêver, remettre en questions les vérités supposées établies, faire vaciller d’une gorgée les préjugés et finalement, rendre caduques toutes nos velléités de sécurisation par l’immobilisme des idées, conscientes ou non. Le vin rapproche et rassemble. Il divise aussi parfois, nourrissant des débats passionnés, inondant la blogosphère, les discussions familiales, les échanges entre amis, les cavistes, les « experts », …

Un constat me semble toutefois prendre le dessus, inévitablement. Pour celui qui sait élargir ses horizons et tenir en éveil sa curiosité, le vin met avant tout en relief la compréhension des cultures, des personnalités et des biotopes, tout en favorisant le rapprochement de ceux qui lui prêtent de l’intérêt.

degustation olfactive
© 2014 Alain Reynaud

Ceci peut arriver à chaque instant, la plupart du temps au moment où on s’y attend le moins. Comment ne pas voir là l’explication du plaisir intense que ressent le dégustateur, aguerri ou non, dans la quête que représente la découverte d’une cuvée. Au moment où le verre se remplit, tout est encore possible, tout est à imaginer… Confirmations, étonnements en tous genres, remises en questions de constats pourtant maintes fois vérifiés, déceptions inattendues. L’arrêt sur image est vivement déconseillé et c’est tant mieux.

Cette capacité qu’a le vin de surprendre constitue donc incontestablement un de ses attraits majeurs. Ce constat s’est une nouvelle fois confirmé à l’occasion d’un des nombreux moments forts que j’ai récemment vécus lors du dernier salon Vinisud de Montpellier, point stratégique de rencontre du monde professionnel autour des vins méridionaux, issus des quatre coins de l’arc méditerranéen.

Les Dentelles de Montmirail, haut-lieu historique de la viticulture

Le lieu de la rencontre nous emmène dans un des plus beaux décors du sud de l’Hexagone : le secteur des Dentelles de Montmirail, berceau de plusieurs appellations qui ont gagné au fil du temps leurs lettres de noblesse. Laborieusement pour certaines d’entre elles, il faut le rappeler.

vacqueyras paysage dentelles
Dentelles de Montmirail – En arrière-plan, le Mont Ventoux

Sous l’élégance ciselée des crêtes (730 m d’altitude pour la plus haute d’entre elles, la crête de Saint-Amand) et au pied de ce massif des Baronnies balayé par le Mistral, mais aussi dans les premières zones de la plaine rhodanienne se niche un chapelet de terroirs dont les identités font déjà rêver : Beaumes-de-Venise, Gigondas, Plan de Dieu, Séguret, Rasteau, Cairanne, …

Un décor sauvage, sans concessions, minéral et tourmenté. Un décor que je ne me lasse pas d’arpenter, depuis de nombreuses années, à pied, à moto, en voiture ou même à cheval l’an passé… Lorsque l’appel des Dentelles retentit, autant le confesser, il m’est difficile d’y résister. Si vous n’y êtes pas encore allés, comblez cette lacune, vous comprendrez mieux mes élans vis-à-vis de ces terres.

Vacqueyras, où cohabitent puissance et distinction…

Au pied des crêtes, sur le territoire des communes de Vacqueyras et de Sarrians, nous retrouvons aussi Vacqueyras, ancienne appellation des Côtes-du-Rhône Villages ayant accédé au statut d’appellation contrôlée en 1990, rejoignant ainsi le cercle des crus de la vallée, au nombre de 15. Un peu trop tôt affirment certains, et je partage leur avis.

C’est l’éternel débat, celui qui alimente tant de discussions, depuis les comptoirs des cafés de villages jusqu’aux bureaux feutrés des grands décideurs de l’INAO et du Ministère de l’Agriculture. Faut-il valoriser une zone par son accès au statut d’appellation contrôlée (aujourd’hui « protégée ») en espérant que cette nouvelle donne encouragera les vignerons à en être dignes ou est-il préférable d’attendre le résultat des efforts qualitatifs locaux pour mettre en valeur leur production, et puis seulement modifier le statut de celle-ci ? On retrouve dans plusieurs régions des exemples de réussites et d’échecs relatifs correspondant aux deux orientations. Dès lors…

Dans la région, ce sont les puissantes gelées de l’hiver 1956 qui ont modifié le visage de l’activité humaine. A partir de ce moment, les oliviers, plus sensibles que la vigne à ce fléau parce qu’ils gèlent par leur tronc avant que leurs racines ne soient touchées, ont progressivement cédé du terrain (dans tous les sens du terme) à la viticulture. On a alors choisi des cépages adaptés au biotope local, défriché un peu partout, épierré sur les premiers contreforts du massif, installé des terrasses pour éviter la brutale descente des terres vers la plaine lors des violents orages auxquels la région n’échappe pas. Bref, on a réuni les conditions pour une viticulture de qualité, pendant que les ceps les plus audacieux escaladaient les pentes…

Au sein de ce décor enchanteur de l’appellation Vacqueyras se côtoient sur une surface de 1391 hectares les caves particulières (un peu plus de 80 au dernier recensement), de tailles variables et des structures coopératives (5) dont fait partie celle que j’évoque aujourd’hui et qui dès sa création, en 1957, a souhaité annoncer la couleur par sa dénomination : « Les Vignerons de Caractère ».

Vignerons de Caractère - Vacqueyras
© 2014 Alain Reynaud
Perle de Rosé - Vignerons de Caractère - Vacqueyras
© 2014 Quitou

Dans le secteur, en appellation Vacqueyras, peu de concessions sont laissées aux vins qui n’auraient pas rougi, 5% de la production seulement leur échappant. Difficile en ce qui me concerne de le regretter, n’ayant guère eu jusqu’à présent l’occasion de me laisser emporter par des cuvées de blanc ou de rosé susceptibles de nuancer mon avis (hormis les savoureuses et amusantes mais marginales « Perles de muscat et de Rosé » des Vignerons de Caractère, qui assurent l’effervescence moelleuse du secteur).

Je ne désespère toutefois pas de rencontrer des vins qui iraient à l’encontre de ce constat, à plus forte raison depuis que j’ai appris qu’une étude géologique initiée par le syndicat avait permis d’identifier des zones favorables à la production des blancs de qualité… Voilà qui encourage les sens à rester en éveil.

Une invitation qui arrive à point nommé

Autant le préciser, l’invitation que m’a adressée Louise Massaux pour assister à l’animation « Entre Verres et Truffes » lors du salon Vinisud était une opportunité de (re)découvrir la production des Vignerons de Caractère, qui peinait à emporter mon enthousiasme depuis le milieu des années 2000, essentiellement pour des motifs de manque de régularité, d’homogénéité et surtout d’ambition…

louise massaux
Louise Massaux – © 2014 Alain Reynaud

Cette période fut pour moi l’occasion de faire plus ample connaissance avec quelques propriétés dont la qualité de production justifiait largement le statut obtenu par l’appellation. Parmi mes favoris, le domaine Le Sang des Cailloux, le domaine de Font Sarade, Le Clos de Caveau et l’inévitable Montirius (liste non exhaustive).

vignerons de caractere vacqueyras
© 2014 Quitou

C’est donc porté par une grande motivation et une réelle curiosité que je me suis rendu le mardi 25 mars sur le stand des Vignerons de Caractère de Vacqueyras. Une demi-heure auparavant, j’achevais un formidable tour d’horizon dans les terres reculées languedociennes, en compagnie des vignerons de Saint Georges d’Orques. Dur métier, vous en conviendrez…

Brève présentation de la structure mise en lumière aujourd’hui : pas moins de 80 familles de vignerons sont concernées pour une superficie globale de près de 1000 hectares de vignes, assurant un peu moins de la moitié de la production totale de l’appellation. Et depuis 2004, un engagement concret dans une approche globale de développement durable.

Tout ceci n’aurait que peu d’intérêt si le niveau des vins n’était pas à la hauteur. Dans ce domaine, j’ai pu sensiblement réviser mes tablettes. Au fil de la dégustation des différentes cuvées, un nouveau constat s’est imposé: l’image du passé était devenue quelque peu obsolète. Pas d’euphorie généralisée car l’une ou l’autre déception (de style essentiellement), mais plusieurs beaux voire très beaux flacons, qui témoignent de sélections rigoureuses, rendements angéliques et de vinifications abouties et marquées d’ambition (mais sans sur-extraction).

Un détail mais les gourmets comprendront; bravant le délicieux fumet qui s’échappait des casseroles du petit coin cuisine installé sur le stand, tentant péniblement de faire bonne figure en laissant croire qu’il laissait mes sens de marbre, j’ai pris soin de déguster les vins avant de tester les harmonies avec les préparations à base de truffe, extrêmement savoureuses par ailleurs, concoctées par la nouvelle équipe qui œuvre dans le restaurant situé au sein même de la Cave. Bon, je me suis rattrapé ensuite…

La dégustation des cuvées des Vignerons de Caractère à Vacqueyras

vin blanc vignerons de caractere
© 2014 Alain Reynaud
  • Commençons par une jolie surprise, en blanc, le côtes-du-rhône « A l’Ombre des Fontaines » 2013, tout en nuances, dont la fraîcheur florale et la subtile minéralité s’associent aux fruits blancs frais dans un ensemble de texture aérienne, très tonique. Dans cette couleur, j’avoue avoir été moins convaincu par les autres cuvées dégustées, onctueuses et riches certes, de grande maturité et persistantes, mais manquant toutefois à mon sens de tension et de vivacité en bouche. C’est une question de goût, plusieurs amateurs s’appuyant sur cette même description pour louer la qualité de ces crus. Enfin, un passionnant débat s’engage naturellement autour d’une cuvée dont le dosage de barrique a divisé les dégustateurs.

Virons au rouge…

cotes du rhone - domaine de la maurelle
© 2014 Quitou
  • Paré de tanins soyeux et gourmands, le côtes-du-rhône rouge 2012 du domaine de La Maurelle s’est montré moins corsé qu’annoncé. Pas de souci, cette puissance relative ayant laissé place à une grande élégance. Bel équilibre acidité/moelleux et expression fruitée (cerise, mûre) généreuse. Gourmand et enjôleur.
vacqueyras vignerons de caractere - seigneur de fontimple
© 2014 Quitou
  • Vient ensuite le vacqueyras « Seigneur de Fontimple » 2012, qui démontre que vigueur et densité ne sont pas incompatibles avec l’élégance et la délicatesse de texture. En bouche, une décoction de fruits mûrs (figue, prune) et d’épices, assortis d’une touche réglissée, davantage présente dans une finale nette, épurée.
vacqueyras vignerons de caractere - Hauts de Castellas 2012
© 2014 Quitou
  • Offrant une bouche complexe et profonde, plus compacte encore, le vacqueyras « Les Hauts de Castellas » 2012 se montre tramé par une vendange très mûre et enveloppée de tanins sérieux mais bien gérés. La matière, solide et noble à la fois, exprime d’intenses saveurs de baies noires confiturées, cacao, épices et léger moka en finale. Un cru ambitieux, qui illustre les options prises par la Cave.
  • Toujours en vacqueyras, le domaine Carobelle 2011 m’a moins convaincu. Sans défaut, « propre » et assagi, presque tendre, mais manquant à mon sens quelque peu de relief et de définition, malgré un équilibre global appréciable.

La production des Vignerons de Caractère ne se limite pas à ces appellations. Gigondas est à une portée de bouchon et Beaumes-de-Venise à peine plus loin. Dès lors, l’occasion était belle de découvrir une cuvée dont certains font grand cas, en appellation gigondas, la cuvée « Eloquence » dans un millésime qui s’il n’a pas donné de volumes importants, n’en a pas moins livré des vins au grain élégant, serré, dotés de structures soyeuses et pour la plupart fort digestes. Dans le même millésime est annoncée en voie finale de la dégustation, l’entrée en carafe d’un vacqueyras censé être le fleuron de la gamme, « l’Absolu d’Eternité ». La tension monte autour des verres… Les deux crus, aérés, nous attendent sereinement.

beaumes de venise - les figuieres - vignerons de caractere
© 2014 Quitou
  • Pour patienter encore (ou nous faire languir), un détour par le beaumes-de-venise « Les Figuières » 2012 est proposé. Bien nous en a pris. Gourmand en diable, mêlant dans un bel élan sudiste les notes fruitées (gelée de framboises, coulis de mûre) et de garrigue (thym, genièvre), ce vin enveloppé et croquant m’a séduit, tant par sa netteté en bouche que par son équilibre vivacité/gras. La fraîcheur était au rendez-vous, ce qui n’est pas toujours facile à obtenir dans le secteur. Grande convivialité et esprit rassembleur pour ce cru.
vignerons de caractere vacqueyras
© 2014 Quitou
  • Le gigondas « Eloquence » 2010 est versé. Il n’attend plus que nous. Le grenache y est largement dominant, environ 75% si mes souvenirs sont bons, associé à l’inévitable syrah. Allons droit au but. Malgré de hautes ambitions affichées, ce vin n’est pas monumental (au sens littéral du terme) et là se trouve sans doute sa plus grande qualité.

Je m’explique. Beaucoup de cuvées « travaillées », produites uniquement dans les grandes années, issues de rendements angéliques, se voient appliquer des vinifications extrêmement poussées, qui donnent naissance à des vins « sur-extraits », massifs, sans doute bâtis pour la garde mais finalement difficilement accessibles et manquant globalement d’élégance et de finesse de trame.

L’œnologue de la Cave n’est pas tombé dans le piège. Le vin est certes volumineux mais sans excès. Ce n’est pas une micro-cuvée destinée à évoluer sur 10 à 15 ans. Réellement séduisant aujourd’hui, il livre une bouche suave, racée, aux tanins ne perturbant absolument pas la lecture du fruit (cassis, cerise noire, fraise). L’évolution en bouche complète la gamme par des notes subtilement grillées, suivies en finale par une touche de « javanais ». C’est vraiment très bon, tout simplement.

gigondas eloquence - vignerons de caractere
© 2014 Quitou
  • Last but not least, la cuvée « l’Absolu d’Eternité » 2010, qui signe la fin du parcours (avant de déguster les petites verrines délicatement truffées) avec un retour à la spécialité de la Cave des Vignerons de Caractère, le vacqueyras. Issu de sélections parcellaires, cette cuvée « haute couture » privilégie les vieilles vignes de grenache, associées pour la circonstance à la syrah et au mourvèdre. On a ici recherché autant la densité que la distinction. Le vin déploie en bouche une texture sphérique, réussissant à faire cohabiter moelleux et fraîcheur, le tout enveloppé de tanins d’une grande suavité. Aucune lourdeur mais de la mâche, aucune sévérité mais de la corpulence… La réglisse est présente, la mûre sauvage et le sureau aussi. Les touches toastées sont perceptibles mais au service de la complexité, le fruit se trouvant respecté par l’élevage. Enfin, il me plaît de souligner l’accessibilité de ce cru (en maturité car en prix c’est une autre histoire, même si un tel travail, associé à la rareté, peut justifier son coût de 46€ départ cave).
vacqueyras absolu eternité - vignerons de caractere
© 2014 Quitou

Que retenir de l’expérience ?

Ce qui suit n’est pas une conclusion. Simplement le signe d’un principe que je tente de m’appliquer au quotidien, pas toujours avec aisance, et que je soumets à votre appréciation.

L’activité de dégustation place imperceptiblement et sans qu’on le réalise consciemment des balises qui en déplacent d’autres. De nouveaux horizons s’ouvrent mais ils referment parfois d’autres portes, des goûts se confirment ou évoluent… S’en réjouir, avant tout. Il se peut pourtant que le conditionnement, cet écueil majeur et en partie inévitable qui guette tout amateur de vin, œnophile averti ou non, prenne alors une place trop importante dans notre approche. L’expérience de dégustation de plusieurs cuvées des Vignerons de Caractère de Vacqueyras a été pour moi l’occasion de revisiter mes anciennes balises. Tout n’est pas à remettre en question mais la « mise à jour » est salutaire. Un coup de mistral sur une forme d’arrêt sur image qui ne tenait pas suffisamment compte de l’évolution de l’esprit du travail de cette cave.

Ceci en revanche, est une esquisse de conclusion. Pour éviter ce genre de situations, on n’a pas encore trouvé de meilleure solution que celle-ci : déguster davantage, sans se laisser enfermer dans les lieux communs et idées préconçues. Déguster davantage ? Comptez sur moi. Pour le maintien de l’ouverture d’esprit, je ferai comme d’habitude, mon possible…

Ce n’est donc qu’après tout cela, que j’ai plongé dans les délices de la « Rabasse ». Un joli moment, qui nous a donné l’occasion de regoûter les vins. Uniquement pour tester les accords, vous l’aurez compris.

Q.

vignerons de caractere vacqueyras
© 2014 Alain Reynaud
  • L’appellation Vacqueyras se découvre également ici
  • Pour en savoir plus sur les Vignerons de Caractère, c’est par ici

  • Pour découvrir le blog de Louise Massaux, « Quilles de Filles », ouvrez ce lien

  • Pour faire connaissance avec le travail du photographe-créateur Alain Reynaud, cliquez ici

 

Vacqueyras
Vacqueyras – © Christophe Grilhé

 

 

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2 réponses à “Rencontre truffée d’intérêt, avec des Vignerons de Caractère …”

  1. Y’a pas à dire, c’est du boulot, du gros boulot ! C’est très pro et agréable à lire. Bravo …..

    Et dire que pendant ce temps là, je me baladais, sans prise de notes, tête un peu en l’air, d’allée en allée …… je suis donc encore plus impressionné ! Vive Quitou 1er 🙂

    • Et peut-être que toi, tu n’as pas besoin de prendre des notes! La prochaine fois, on fera l’inverse… J’essaierai d’être tête en l’air et te mettrai un carnet dans les mains 😉 Et puis non, restons comme nous sommes et continuons à partager nos vécus, c’est encore plus riche si les approches sont différentes… Merci Gérard pour ce très gentil témoignage. Venant de toi, il n’en a que plus de valeur.

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