Fêtes et bulles, une légitime complicité…
Les entendez-vous? Du fond des crayères remonte progressivement le doux frémissement de millions de petites bulles… De Reims à Epernay (Montagne de Reims ), de Tours-sur-Marne à Château-Thierry (Vallée de la Marne ), de Cuis au Mont Aîmé (Côte des Blancs ), de Soulières à Villenauxe-la-Grande (Côte de Sézanne ), au sud de Troyes enfin (Côte des Bar ), une certaine frénésie envahit sans faiblir les caves champenoises. Partout, on s’agite pour répondre à une demande mondiale qui ne faiblit pas vraiment…
Les signes ne trompent pas. Les fêtes sont là, à portée de bouchon. Et l’éternelle question se pose à beaucoup d’entre nous, comme chaque année : qu’acheter, sans se ruiner, pour que l’effervescence soit de la partie et que notre quête de plaisir trouve une vraie réponse ? Un champagne à moins de 10 euros, comme le proposent actuellement plusieurs grandes enseignes ? C’est un choix, extrêmement discutable à mon sens.
Depuis toujours, la Champagne a su me séduire. Ce n’est pas sans raison que la région fut le théâtre d’une des premières expéditions de Quitou Wine Travel. J’y retrouve toujours avec passion et intérêt la diversité de production des multiples petits producteurs qui peuplent ses sous-régions et puis parfois, la noblesse et la profondeur de certaines cuvées issues des grandes maisons.
Quand j’ai le choix, c’est vers la pureté ciselée des grandes cuvées de blanc de blancs (100% chardonnay ) ou la souveraine vinosité des blancs de noirs (champagne blanc issu du pinot noir, du pinot meunier ou d’un assemblage des deux) que je m’oriente. Selon moi, le champagne est le vin de toutes les circonstances. Je l’ai testé à chaque moment de la journée, de l’aurore au crépuscule, avec ou sans raison affichée, seul ou accompagné, avant, pendant ou après les repas. C’est un magnifique produit, qui occupe une place à part dans toute la production viticole. Aucun autre vin ne peut réellement lui ressembler. Pour ceux qu’une petite excursion d’une demi-journée sur place n’effraie pas, il est possible d’en enrichir sa cave à des prix qui tordent le cou aux idées préconçues. De surcroît en rencontrant les producteurs.
La Champagne échapperait-elle à la crise?
Depuis quelques années, cette prestigieuse région s’est montrée moins touchée par le marasme ambiant qui caractérise l’ensemble de la filière viticole de l’Hexagone. Le contexte général plus que morose, favorisé par le manque de courage des gouvernements successifs et le puissant lobbying des adeptes du radicalisme hygiénique (l’ANPAA pour être précis – Association Nationale de Prévention en Alcoologie et Addictologie), semble épargner la région. De plus, lorsque la consommation européenne s’essouffle, les marchés asiatiques ou de l’est prennent le relais. Rien à craindre donc, à première vue…
Pourtant, depuis peu, la Champagne me fait furieusement penser à la petite grenouille aveuglée par l’ambition, dont Jean de la Fontaine conte les mésaventures dans une célèbre fable. Cet homme de lettres né à Château-Thierry dans la vallée de la Marne (coïncidence ?), avait avec cette analyse à nouveau vu juste. A force de gonfler ses prix, ses rendements, sa zone de production et une certaine arrogance qui pourrait bien mettre son développement qualitatif en péril, la Champagne encourt le risque de faire exploser sa propre bulle… Béantes sont les portes qu’elle ouvre aujourd’hui à des alternatives qui méritent notre intérêt et le recul d’éventuels préjugés et lieux-communs. Et le consommateur de commencer à imaginer qu’un bon cremant pourrait rivaliser d’intérêt avec un champagne né dans des circonstances obscures…
La véritable naissance des crémants
L’histoire du vin mousseux (dont l’effervescence fut longtemps subie, avant d’être choisie puis maitrisée) remonte à plus de deux siècles. Avant la fin du 19ème siècle, chaque région française possédait sa version pétillante. On trouvait même des bulles dans les zones de Sauternes ou de Côte Rôtie ! Mais c’est seulement au cours des Seventies que les crémants se sont développés à un rythme soutenu, lorsque l’INAO (institut national des appellations d’origine) s’est enfin décidé à structurer une filière à l’image peu reluisante, sifflant la fin d’une récréation qui n’amusait plus personne, tant le désordre général causé par de trop faibles produits venus de presque partout était prédominant. En Espagne et au Portugal, il n’a pas fallu tout ce temps… Les cavas de la péninsule ibérique avaient déjà convaincu, sans faire de bruit, les amateurs de bulles de qualité, à prix doux.
Par chez nous, c’est donc en ordre dispersé qu’ils sont d’abord apparus, ce qui a affaibli leur position. Puis, au milieu des années 70, tout a changé. La Bourgogne et la Loire tout d’abord (1975), l’Alsace ensuite (1976), Limoux et Bordeaux (1990), Die (1993) et enfin le Jura (1995). On annonce l’entrée dans le cercle de la Savoie. Toutes ces productions pétillantes se retrouvent ainsi autour d’une même dénomination, utilisable partout en Europe avec la mention de leur origine géographique, mais avec d’importantes contraintes de viticulture et de vinification, qui éloignent les candidats au plagiat. Nous sommes en présence de la seule appellation gérée conjointement par des régions différentes. Un défi qui a longtemps paru impossible à relever. Et pourtant…
Le Luxembourg (1991) et la Wallonie (soyons fiers, notre production est aujourd’hui reconnue, même en Champagne !) se retrouvent dans une catégorie parallèle, dont le nom barbare en ferait fuir plus d’un. Prenez votre souffle : « VMQPRD », qui signifie « Vins mousseux de qualité produits dans des régions délimitées ». Vous êtes encore là ? Vous avez du mérite. Tant mieux, nous allons parler vin.
Aujourd’hui, c’est à la rencontre de ces crémants que je vous invite, non pour nourrir les inutiles guerres fratricides, qui opposent des produits dont les objectifs se révèlent extrêmement différents, mais pour vous faire mieux connaître une production dont la présence à votre table de fête pourrait en réjouir plus d’un, à la seule condition que les buveurs d’étiquette n’honorent pas votre dîner festif de leurs commentaires envahissants.
Les crémants de qualité vaudraient-ils mieux qu’un champagne médiocre, indigne de son rang, aussi prestigieux soit-il ? Oui, je le crois vraiment. Faites connaissance avec ces bulles qui jadis, étaient légitimement considérées comme de pâles copies d’un noble produit et qui aujourd’hui, ont conquis une solide place sur le marché de l’effervescence.
Hors du champagne point de salut ?
C’est une image obsolète. Le mot « CREMANT », bien plus honorable que « mousseux », y a largement contribué. Mais ça ne s’arrête pas là. D’abord, bien retenir ceci : en terme de vinification, rien ne distingue les deux appellations. Si la dénomination « méthode champenoise » est interdite hors de la zone de Champagne, nous retrouvons l’expression « méthode traditionnelle » dans plusieurs appellations produisant des crémants. Quoi qu’en disent certains esprits chagrins ou revanchards, c’est la même méthode qui donne naissance aux deux produits. Seuls diffèrent les cépages (et encore, pas toujours), les sols, les caractéristiques du climat et parfois aussi les choix d’élevage. En Belgique par exemple, pour l’élaboration du CREMANT DE WALLONIE, sont autorisés les 3 grands cépages champenois (chardonnay, pinot noir et pinot meunier ), auxquels vient s’ajouter le pinot blanc. Au passage, je vous invite à découvrir, si ce n’est déjà fait, l’excellente cuvée « Ruffus » du vignoble des Agaises, le plus grand producteur de vin en Belgique.
Comment ne pas se réjouir de la présence de vins effervescents issus des pinots blanc et gris, du riesling, du chenin (qui prend magnifiquement la mousse), du sémillon, du mauzac, du savagnin ou de la clairette … ? Assembler différents cépages pour apporter de la complexité aux cuvées ? Réunir des vins de réserve de plusieurs millésimes au bénéfice d’une régularité de production similaire à celle que visent les grandes maisons champenoises ? Millésimer certaines cuvées ? Et pourquoi pas, n’en déplaise aux frileux… Tout est ouvert pour nos crémants. Leurs producteurs se posent les mêmes questions que leurs illustres confrères : « Faut-il respecter les humeurs du millésime et considérer le crémant comme un vrai vin, habillé de bulles, mais dépendant des caprices du temps et des nuances du sol ? Peut-on accepter une certaine irrégularité d’une année à l’autre ou au contraire, est-il préférable de rechercher une production régulière par le biais des assemblages ? » Le débat n’est pas tranché. Il fait rage dans certains milieux.
Mon opinion est celle-ci. Je vous la soumets non pour convaincre mais pour alimenter votre propre réflexion. Quand François Barmès, à Wettolsheim en Alsace, élabore son splendide crémant brut millésimé 2010 « zéro dosage », quand Clément Klur, à Katzenthal donne naissance à son remarquable « crémant de Clément », quand Stéphane Tissot, à Montigny-les-Arsures dans le Jura, va jusqu’à travailler l’oxydation du chardonnay pour son « Extra-Brut », pensez-vous vraiment qu’ils imaginent un seul instant reproduire un jour le même vin ? Croyez-vous qu’ils ambitionnent de concurrencer le champagne ? Je suis convaincu que non. Ils éprouvent bien trop de respect pour ce que leur propre terroir peut offrir. Et la dégustation de leurs cuvées inspire à ceux qui les goûtent une question prioritaire: « Que nous réservent ces vignerons si talentueux pour leur production de bulles de l’année suivante ?»
Sur les coteaux abrités par les Vosges comme sur les collines de tuffeau de Touraine, sur les pentes bourguignonnes ou les « reculées » du Revermont jurassien, il se trouvera toujours un vigneron qui saura vous expliquer que le cremant est un vin à part entière, qu’il mérite les mêmes égards que ses voisins « tranquilles ». Et il aura raison. Dans ces mêmes lieux, d’autres veilleront à occulter le fait qu’ils réservent les raisins peu mûrs des années froides à leurs vins effervescents. Comme toujours, la vérité restera dans le verre. Elle traduira les véritables ambitions du vigneron, le soin qu’il aura mis à rechercher une mousse crémeuse et aérienne à la fois, le temps qu’il aura accordé au vieillissement sur lattes, l’envie qu’il aura manifesté à accorder une vraie place au caractère effervescent de son terroir.
Crémant et Champagne, frères ennemis ?
C’est le prix de certaines cuvées de champagne, très largement revu à la baisse ces dernières années, particulièrement au moment des fêtes, qui a relancé le débat. Admettons-le, certaines annonces laissent rêveur…
Quand on déduit des 8 à 10€ demandés par la grande distribution pour leur cuvée champenoise d’appel (en terme d’appel, il s’agit surtout de nous inciter à acheter beaucoup d’autres produits, une fois pris dans la nasse des rayons), le prix de la bouteille (forcément plus épaisse qu’une autre), du bouchon, de l’habillage (plus complexe) et du kilo de raisin (entre 5€ et 5,50€ le kilo – il en faut environ 1.2kg pour produire une bouteille de 75cl et 1.5kg pour une cuvée monocépage), que reste-t-il réellement ? Songeons-nous suffisamment à ceux qui en amont, inévitablement, sont les victimes de cette haute voltige financière à basse altitude morale ?
Dès lors, peut-on considérer les crémants à 9€ plus sains qu’un champagne du même prix ? Je pense que oui. L’un est à son niveau de prix, l’autre est une énigme mathématique, dont la solution ne peut se trouver qu’en eaux troubles, effervescentes aussi celles-là, lorsqu’on visite les coulisses de la scène.
La politique commerciale agressive de certaines enseignes en France laisse pantois. De grandes frustrations naissent chez les consommateurs, au moment où ils découvrent que ces offres alléchantes ne sont pas soutenues par des stocks suffisants. Quelques offres de 2013: Le Vranken 1er cru à 7.78€ chez Carrefour Market, le champagne De Castellane à 9.66€ chez Intermarché ou le champagne Martel à 8.45€ chez Leclerc illustrent parfaitement ce constat mais l’essentiel est assuré car les clients, malgré leur éventuelle déception, sont dans les rayons… Chez nous, ce sont avant tout les bouteilles « bas de gamme » issues de marques souvent totalement inconnues, parfois créées pour l’occasion, qui font l’objet de telles offres.
Le champagne, ce vin « civilisateur » (Talleyrand), est souvent imité, mais jamais surpassé lorsqu’il est bien né. La plus grande erreur que pourraient commettre les producteurs de crémants serait de croire à une possible confusion, de rechercher une hypothétique et aléatoire confrontation. Ceci n’enlève rien aux qualités intrinsèques des bulles bourguignonnes, jurassiennes, alsaciennes, ligériennes ou autres…
A tous ceux qui ne souhaitent (ou ne peuvent) accorder plus d’une dizaine d’euros à la bouteille pour leurs bulles de fin d’année, je conseille simplement d’éviter les tristes produits champenois bradés ces jours-ci dans les rayons lumineux et surchauffés (ils détestent ça) et de choisir de beaux crémants.
Savez-vous que les vins effervescents, quelle que soit leur origine, supportent difficilement une exposition de deux ou trois jours à la lumière des néons? Des dégustations comparatives ont démontré l’effet néfaste de tels traitements. Bien sûr, certains rétorquent que la rotation est importante dans les rayons de la grande distribution pendant les fêtes de fin d’année. Pour autant, sommes-nous assurés que certaines enseignes n’écoulent pas à ce moment des vins stockés depuis plusieurs semaines voire plusieurs mois, dans des conditions non vérifiables?
Pour se faire aider dans ce choix, il est une option bien plus rassurante. Pourquoi ne pas pousser la porte du caviste le plus proche de chez vous ? C’est là que l’acte d’achat de vos bulles se révèlera le plus judicieux et que vos réveillons poseront les premières fondations de leur réussite. Le vin est rassembleur. Le bon vin l’est encore davantage. Dans ces lieux-là, on en rencontre plus qu’ailleurs. Les cavistes seront vos partenaires privilégiés pour préparer vos agapes. Et le prix de certaines cuvées de Champagne qui y sont proposées pourrait aussi vous surprendre positivement.
Le mot de la fin (provisoire) aurait pu revenir à Sir Winston Churchill, qui considérait le champagne comme « nécessaire en temps de défaite et obligatoire en temps de victoire ». J’éprouve un grand plaisir à le laisser à Madame Lily Bollinger, illustre personnage qui a marqué l’histoire de la Champagne, auteur de cette citation devenue célèbre, délicieusement teintée d’humour britannique. A propos du champagne : « J’en bois quand je suis heureuse et quand je suis triste. Parfois j’en bois quand je suis seule. Si j’ai de la compagnie, j’estime que c’est mon devoir. Si je n’ai pas faim, je joue avec et j’en bois quand je suis affamée. Sinon, je n’y touche jamais… sauf si j’ai soif. »
J’adore, et vous ?
Pétillantes fêtes à tous !
Q.
Les domaines viticoles mis (méritoirement) à l’honneur par ce billet:
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le domaine Barmès-Buecher à Wettolsheim en Alsace.
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le vignoble Klur à Katzenthal en Alsace.
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le domaine André et Mireille Tissot à Montigny-les-Arsures dans le Jura.
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le domaines des Agaises à Haulchin en Belgique.
Merci Quitou pour ces éclaircissements entre le Champagne et le crémant.
Il est vrai qu’il existe de très bons crémant mais à choisir mon cœur basculera toujours vers du champagne si j’ai le choix.
D’ailleurs, ce Noël, j’ai offert pour l’apéro le champagne de chez Phitois. Tout le monde a dit qu’il était très bon.
A quand une nouvelle escapade en Champagne pour découvrir de nouveau petit ou grand producteur.
Au plaisir de te revoir.
D’ci là, je te souhaite une bonne et heureuse année 2014 autour du vin.
Karin
Carpe Diem
Merci pour ces voeux Karin! Nous retournerons en Champagne, dans la Vallée de la Marne cette fois. Mais avant, cap sur l’Alsace! Que 2014 soit pour toi une belle année de découvertes et de rencontres autour du vin!
Le champagne est toujours une boisson de fête, même si effectivement le crémant a su peu à peu séduire le cœur des français !
Hors du champagne point de salut ?! Il y a deux écoles à ce sujet mais toutes arrivent à se mettre d’accord sur l’importance d’une coupe pour une célébration, quelques en soit le cépage !