Le Clos des Calades, bouffée d’air frais dans la garrigue

Plantons le décor

Clos des calades - 3 cuvées
© Quitou.com

« Alors ouvre-les ce soir ! »
C’est la réponse qui a fusé, sans détour, au moment où je prévenais celui qui m’avait fourni les échantillons du Clos des Calades que je comptais les déguster le lendemain… Inutile de préciser que suite à ce conseil, mes sens étaient déjà titillés, la vrille du sommelier chauffant déjà dans ma poche. Car en la matière, Gérard Garroy n’est pas le premier venu. Du genre de ceux dont l’expérience rend les conseils plutôt avisés.

Ça faisait un sacré bout de temps que je souhaitais faire connaissance avec les différentes cuvées de ce petit domaine de 5 hectares niché dans la campagne gardoise, à l’ouest de Nîmes.

Laurence Escavi
© Clos des Calades

Au moment où je goûte ses vins, je ne connais Laurence Escavi que virtuellement. Quelques échanges épars sur les réseaux sociaux, des amis communs mais surtout, une histoire de vie qui, bien au-delà de la dégustation et pour ce que j’en sais à ce stade, m‘inspire l’idée que celle qui se cache derrière les trois cuvées posées devant moi est pétrie de passion et qu’en outre, elle semble s’être lancée dans une aventure dont elle n’avait peut-être pas initialement mesuré l’envergure. Il semblerait même qu’elle ait choisi d’aller au bout de ses rêves, au prix de sacrifices divers devant lesquels beaucoup auraient reculé. Mais ceci est une autre histoire…

Deux choix s’offrent à moi. Je le concède, par impatience d’en savoir davantage, la tentation a été grande de lire les fiches techniques des vins, de visiter le site du Clos des Calades, d’en savoir plus sur l’esprit de travail à la vigne et dans les chais… Bref, d’observer pour mieux le connaître l’environnement qui permet la naissance de ces cuvées. Puis, réalisant d’un furtif éclair de lucidité que je m’éloignais de mes propres valeurs – la seule vérité qui compte est celle du verre – j’ai finalement choisi une autre option, celle qui accorde un vrai espace de liberté à des sens uniquement orientés vers le vin, avec un minimum d’interférences techniques ou humaines.

Faire connaissance avec les vignerons par le contenu du verre avant de les avoir en face de moi a souvent eu pour conséquence un plaisir accru ressenti au moment où la virtualité retirée, les personnages que j’ai rencontrés ont su conforter – et pour certains renforcer – l’image positive que la dégustation m’avait inspirée. Oui, la rencontre est encore plus belle lorsque le vin a été goûté et en a déclenché l’envie. L’idée est donc de déguster les cuvées de Laurence pour comprendre qui elle est et ce qu’elle cherche à faire sur le terroir qui l’a accueillie.

Trois cuvées du Clos des Calades, dans le millésime 2015

Pic-Têtu 2015 – AOP Languedoc – 11,8% Vol (Grenache 95% – Syrah/Mourvèdre 5%)

Pic Têtu 2015 du Clos des Calades
© Clos des Calades

La cuvée « Pic-Têtu », parée d’une jolie robe rubis à nuances pourpres au disque ouvert, de bel éclat, tient son nom du petit marteau utilisé pour dégrossir les pierres sèches destinées au montage des murets et capitelles de vignes. Le premier nez ne laisse planer aucun doute sur la vocation du vin. Une corbeille de fruits rouges frais (framboise, grenade, cerise, fraise) se livre d’emblée et sans retenue, assortie d’une touche florale (pivoine). A l’aération, le souvenir d’un « lacet » sucré à la réglisse me revient… C’est engageant, épuré et gourmand à la fois. Je l’ai dégusté aux alentours de 15-16°C et franchement, l’impression immédiate que la première prise en bouche m’a laissée est un sentiment de grande vigueur et de vitalité. C’est gourmand et sans accroche. Ce vin gorgé de fruit nous prend par les papilles, en souplesse mais avec une chair appréciable. De délicieux tanins de fruit enveloppent une matière croquante et tout en pulpe. Finale agréablement persistante dans la lignée de ce qui précède, rectiligne et ciselée, tout en fraîcheur de fruit. Un vin digeste et énergique, d’un naturel confondant, porté par le souffle de la tonicité. Irrésistible breuvage d’accolades, à déguster sans attendre par une bande d’amis, en l’ayant aéré au moins deux heures au préalable. Je ne le conserverais pas au-delà de 3-4 ans.[/media]

A table, mes papilles appellent un plateau de charcuteries, un magret aux cerises, une terrine de gibier ou encore une andouillette grillée… et surtout mes amis.

 

 

 

 

Les Strates 2015 – AOP Languedoc – 12,5% Vol (Syrah 80% – Mourvèdre 20%)

Cuvée Les Strates 2015 - Clos des Calades - Quitou
© Quitou.com

Une robe à prendre au sérieux, grenat profond et concentré à reflets violacés sur un disque fermé.
A l’ouverture, quelques heures avant de le déguster, une légère pointe de réduction s’était manifestée. Au moment d’écrire ces lignes, elle a laissé place à un nez complexe et parfumé, marqué d’une empreinte minérale qui évoque le graphite et l’encre, pour évoluer à l’aération vers de généreuses senteurs de baies noires sauvages (mûre, myrtille) et de léger fumé ou de cuir frais. Un bouquet qui annonce une belle personnalité en bouche.

Pour celles et ceux qui recherchent les vins associant puissance aromatique et suavité de texture, sans devoir patienter de longues années dans l’attente d’un assagissement de charpente parfois hypothétique, « Les Strates » est un maître-choix. Dès l’attaque, j’ai été séduit par le grain serré de la matière et le soyeux des tanins. Ce vin prend par les papilles et invite à une balade parfumée dans la garrigue. En milieu de bouche, l’équilibre vivacité/moelleux est au rendez-vous et les saveurs fruitées se montrent généreuses (griotte, mûre). De délicates épices enveloppent un ensemble racé et savoureux, offrant le visage d’une force tranquille de grande finesse. Joliment texturé, très net dans sa construction, ce vin a manifestement bénéficié d’une vinification ambitieuse mais extrêmement respectueuse du fruit. Cette cohabitation de personnalité et de soyeux ne serait-elle pas la jolie expression d’une touche féminine en vinification ? Finale persistante sur le cassis et la mûre, avec une subtile touche de poivre rose. J’ai beaucoup apprécié son toucher de bouche délicat, son liant et son homogénéité en finale. Irrésistible dès aujourd’hui, ce vin sensuel peut affronter sereinement 4 à 6 ans de garde.

A table, ses tanins déjà partiellement patinés et son fruit expressif assorti de fines épices me font penser à plusieurs accords gourmands : Une cuisse de lièvre rôtie, une bavette d’aloyau (onglet) aux cèpes ou à l’échalote, un baron d’agneau aux herbes ou une daube languedocienne. J’allais oublier… Un cassoulet gourmand de Castelnaudary et ses haricots du Laurageais.

Terrienne 2015 – AOP Languedoc – 12,5% Vol. – (Mourvèdre 95% – Syrah 5%)

Cuvée Terrienne 2015 du Clos des Calades - QUitou
© Quitou.com

La cuvée « Terriennes », confidentielle car représentée par 800 exemplaires seulement, s’est peut-être donnée comme ambition, le temps d’un millésime, de défendre les intérêts du cépage mourvèdre, capricieux et exigeant en diable, peu productif mais si passionnant lorsqu’il est compris et respecté. Ce ne sont pas les vignerons de Bandol qui me démentiront.

A nous deux mon gaillard…

La robe est pourpre bleuté, de grande jeunesse et dotée d’une intensité qui annonce la couleur. Le bouquet ne laisse pas le temps de souffler. Associant dans une belle complémentarité les senteurs de fruits noirs mûrs (cassis, coulis de sureau, mûre, cerise) et d’épices (laurier, romarin, thym), il invite à la dégustation et offre à l’aération une touche de réglisse, d’olive noire et de musc.

La prise en bouche confirme la patte stylistique des vins du domaine. Ce cru fait cohabiter dès l’attaque une profondeur de matière, un toucher dense mais soyeux et un fruit préservé. Comme si ce garnement de mourvèdre avait trouvé en sa vinificatrice une complice d’expression qui a su l’apprivoiser… De texture serrée mais nullement austère, le vin présente des contours déjà partiellement assagis tout en privilégiant une densité élevée. Sa puissance naturelle trouve son équilibre dans un beau gras. Au rayon des saveurs, c’est une lutte sans vainqueur qui oppose le fruit et les plantes de garrigue. La finale, musclée et élancée à la fois, séduit par son profil persistant et distingué. Un vin à l’humeur vagabonde, sans aucun excès de maturité, bien au contraire, qui donne une lecture somme toute assez sensuelle du terroir. On dit d’ailleurs des vins de la zone de Langlade qu’ils privilégient la finesse à l’opulence. Celui-ci confirme l’affirmation. Solidement constitué malgré son élégance naturelle, il pourra évoluer favorablement sur 6-7 ans. Aucun souci si votre impatience vous trahit, il est déjà diablement plaisant aujourd’hui.

Dans l’assiette, j’imagine une caille aux figues, une entrecôte de bœuf grillée nature ou au poivre, de petits gibiers de garrigue, un lapin aux olives ou aux pruneaux, un filet de marcassin aux airelles, un sauté d’agneau ou un chou farci… et vous l’aurez deviné, quelques amis.

Churrasco - Entrecôte de boeuf argentine
© Quitou.com

Puissance d’expression, élégance et sensibilité

C’est peut-être d’ailleurs par ce sentiment final inspiré par « Terrienne » que je tenterai de résumer l’enseignement de cette dégustation. Les vins du Clos des Calades présentent un atout majeur, pas assez fréquemment rencontré à mon goût : une accessibilité rapide qui n’empêche ni la profondeur ni la densité.

Agriculture biologique - Clos des Calades
© Clos des Calades

Bien sûr, je pourrais m’étendre sur les coulisses de l’affaire, tout ce qui fait de cette production un acte terriblement authentique, posé par une jeune femme dont le courage n’a d’égal que la ténacité. Il faudrait alors évoquer l’arrêt de traitements d’insecticides et de désherbant à la vigne mais aussi l’absence d’intrants chimiques en vinification, l’utilisation exclusive de levures indigènes, l’usage extrêmement modéré de sulfites, l’absence de filtration des vins et enfin, la demande de certification en BIO introduite en 2015… Inutile d’insister, on aura compris l’esprit de la démarche.

Pendant cette dégustation, je vous le confie, une bouffée d’air frais s’est associée à un plaisir hédoniste. Tout ça au creux d’un hiver sans nuances, sur les coteaux de notre Brabant Wallon recroquevillé sous les gelées et givres d’un univers glacial et figé, bien éloigné des terres maigres, caillouteuses et chaleureuses qui ont donné naissance à ces vins. Se surprendre à aimer déguster des vins du sud d’une grande fraîcheur dans un environnement plutôt réfrigérant… Moment de contrastes, moment de plaisir.

Pour ce que j’ai pu en goûter, Laurence Escavi privilégie la rectitude et la vivacité à l’onctuosité parfois écœurante régulièrement rencontrée dans plusieurs vignobles méridionaux. Très bien, c’est un style qui se démarque peut-être de ce qui est couramment rencontré mais qui a le mérite de faire bouger les lignes. Oui, je crois en ce domaine et en l’énergie féminine qui le porte aujourd’hui. Cette aventure me fait furieusement penser à celle entreprise par Véronique et Jean Attard au Mas Coris à Cabrières.

Au Clos des Calades, ni futaille prétentieuse, ni lourdeur confiturée. Toniques, les vins nous parlent droit dans les papilles, sans détours ni artifices, ce qui n’empêche pas l’ambition. Les cuvées sont le fruit d’une complicité revigorante entre les cépages, un climat exigeant et un environnement géologique assez maigre. Il me plaît d’imaginer que l’authenticité des vins en dégustation est le juste reflet de la personnalité courageuse d’une jeune femme qui a relevé un formidable défi. Elle fait donc maintenant partie des rencontres vigneronnes qui ne peuvent se limiter à la virtualité.

Aux côtés (et non à l’ombre) du plus connu Roc d’Anglade voisin, voici donc un petit domaine de quelques hectares qui se grandit autant par la qualité de sa production que par la détermination de celle qui en a repris les rennes. Sans aucune hésitation, je vous invite à découvrir ces vins de niche, dont j’évoquais récemment la présence indispensable dans mon précédent billet, pourtant consacré à une structure de production beaucoup plus imposante.

Q.

  • Vous souhaitez en savoir davantage sur le Clos des Calades ? C’est par ici
  • La belle aventure du Mas Coris de Véronique et Jean Attard se découvre ici.

  • Vous habitez en Belgique et aimeriez faire connaissance avec ces vins ? C’est possible, chez Bernard Poulet à Bruxelles

Clos des Calades - Les Strates 2015
© Quitou.com
Clos des Calades - Terrienne 2015
© Quitou.com

2 réponses à “Le Clos des Calades, bouffée d’air frais dans la garrigue”

  1. MERCI Quitou pour ce bel article et pour la précision de tes commentaires.
    Il me tarde que tu rencontre cette jeune vigneronne dynamique bien épaulée par Monsieur Jean-Paul (Cases) son Papa de coeur !

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.