Exploration oenologique et gourmande au coeur des Ardennes
Ils sont venus, ils sont tous là…
En ce week-end enfin printanier, une destination les rassemble ; ils ont emprunté le chemin des vignes, entamant leur périple d’un peu partout, de Flandre, de Bruxelles ou de Wallonie, de Shanghai aussi, sans savoir vraiment ce qui les attendait…
Pour les accueillir, nos Ardennes avaient mis les petits plats dans les grands : soleil généreux (du moins le premier jour car le lendemain, mettre de l’eau dans le vin aurait été facile), douce brise, effluves et couleurs champêtres dans le jardin de l’hôtel, accueil autochtone chaleureux …
Dès l’arrivée, les choses ne traînent pas. Brèves présentations, description de l’esprit et des objectifs de ce week-end oenologique, puis les masques tombent. Façon de parler puisque c’est plutôt sur les yeux que nous allons les placer pour notre première expérience commune : tenter de reconnaître, à l’aveugle, les trois couleurs de vins, servis bien sûr à températures identiques, histoire de corser un tantinet l’affaire…
Défi facile à relever pensez-vous ? Pour certains peut-être. Jusqu’au moment où les choses ne se déroulent pas tout à fait comme prévu, les règles du jeu ayant été modifiées sans préavis, par un animateur qui n’en est à ce moment qu’à sa première incursion hors des sentiers battus.
Le temps d’interpréter les résultats du test, d’évoquer la funeste influence du conditionnement dans l’acte de dégustation, mais aussi la nécessité pour l’œnophile de se recentrer sur ses propres sens pour laisser le vin lui parler,… et la petite troupe se retrouve autour du premier repas préparé par le chef. Un menu « dégustation » qui annonce sans ambiguïté la couleur gastronomique du week-end. Pour accompagner les plats, un riesling d’Alsace épuré et tonique et un merlot languedocien insolite, qualifié « d’iconoclaste » mais très attachant.
La première salve est donnée, pas de répit pour les braves. On se retrouve, en rangs serrés, pour la première présentation visuelle du week-end. Objectif ? Déterminer le cadre de la dégustation, évoquer ses pièges et richesses, les moyens à mettre en œuvre pour mettre les atouts de son côté et les innombrables outils dont la nature nous a dotés pour nous permettre une analyse sensorielle argumentée. Ce qui n’a rien à voir avec un étalage de connaissances.
La théorie est indispensable. Elle pose les fondations nécessaires à l’appropriation d’une méthode pour déguster. Isolée, elle se perd dans le néant mais placée au service d’un développement de compétences, elle prend tout son sens. Pour mettre en place notre méthode empirique, nous décidons donc d’aller vérifier si le jardin a conservé son visage accueillant et retrouvons notre espace de dégustation au grand air avec un plaisir non dissimulé.
Les langues se délient, on fait connaissance, les barrières et freins reculent… Les verres se tendent d’un geste plus assuré. Le vin a commencé son œuvre de fédératrice.
Six flacons nous attendent. Deux de chaque couleur et bien entendu, ils ont été choisis pour qu’un maximum de préjugés, habitudes et idées préconçues se retrouvent mis à mal. Les duos sont composés : Beaujolais et Corbières défendront les couleurs du rosé, Touraine et Jura représenteront le blanc, tandis que Minervois et Rhône méridional s’afficheront en rouge.
Pendant près de deux heures, surprises et découvertes ne manquent pas et plusieurs s’en trouvent quelque peu désorientés. Pas grave, on se surprend à prendre plaisir au jeu du « ici, tout est possible… »
Il n’a pas non plus échappé à certains que l’animateur semble éprouver une forme de satisfaction face à ce désordre organisé… On comprendra plus tard.
19h. Juste le temps de se rafraîchir car pas très loin de nous et sans s’être annoncé, Jean-Philippe s’active aux fourneaux depuis un certain temps. Il est temps de se rappeler que parmi les plaisirs de la découverte du vin et de la dégustation, la quête des accords gourmands se trouve en bonne place. Nous n’allons pas bouder notre plaisir. Là-bas, dans sa cuisine ouverte, notre complice de l’assiette nous attend. Il a hâte de faire découvrir ses créations.
L’axe de réflexion sensorielle sera le suivant. Deux vins différents seulement tout au long du repas, mais testés avec plusieurs délices issus de l’imagination du chef.
C’est tout d’abord un sancerre du terroir de Chavignol qui se place face aux perles de foie gras laquées en millefeuille croustillant. Insolite, un vin sec et minéral avec le foie gras ? Les convives tiennent rapidement un autre discours, réalisant avec surprise qu’une matière fruitée bien mûre peut ouvrir de nouveaux horizons d’accords, insoupçonnés. Ça bouge, dans les rangs de nos préjugés…
Sur la pomponette de cabillaud, coquille Saint-Jacques poêlée et jus de crustacés, notre cru ligérien se régale et se retrouve dans son élément naturel. Minéralité, quand tu nous tiens…
Il est temps de virer au rouge. Pour la délicieuse et fondante côte de porcelet, sauce à l’échalote, verrine de carottes, caviar d’aubergines et cerceau de pommes de terre, un saint-émilion mûr à souhait, issu d’un des plus beaux millésimes que la rive droite ait connu depuis deux décennies : 2009. Un accord évident de complémentarité s’installe.
Le voyage au pays des saveurs se poursuit.
Quand apparaît le discret mais très aromatique superposé de pain laminé et fromage de jambjoule, certains n’hésitent pas à rappeler le sancerre, confortant l’idée de plus en plus répandue que décidément, vin blanc et fromage sont très souvent faits pour s’entendre… Dans ce cas, l’onctuosité du fromage aux herbes appelait un contraste de fraîcheur. Un cru des coteaux qui surplombent Bué va répondre à l’appel.
Décidément, rien ne se passe comme nous l’avions imaginé.
Pour le sorbet de framboises en tulipe croustillante et douceur vanillée, on change d’approche. Deux choix sont proposés : un muscat de Lunel tout en moelleux (recherche de contraste avec la vivacité du sorbet) ou un jurançon doux, confit et acidulé (pour une association de styles très proches). Les avis sont partagés, chacun regagnant tranquillement sa chambre après le café, le sentiment du devoir épicurien accompli.
Il ne faudra pas attendre longtemps pour qu’après ce festin, le calme s’installe sur le lieu maintenant déserté de cette première offensive gourmande ardennaise.
Le lendemain, pour plusieurs d’entre nous, le tocsin sonne bien trop tôt, rappelant les forces en présence à leur devoir. Circonstance aggravante, le clocher de l’église semble s’être introduit dans l’hôtel. Savez-vous que le Tocsin était aussi un organe de lutte viticole, confectionné dans l’Aude lors de la célèbre révolte des vignerons languedociens de 1907 ?
La première salve est tirée vers 9h30. On s’agite, ou plutôt on s’équipe doucement car les gestes, curieusement, semblent moins alertes que la veille. Mais la détermination à repartir au front semble intacte.
Le contenu théorique illustré par l’image et le récit traite aujourd’hui de la technique de dégustation. Comment s’y prendre ? Quels gestes poser et dans quel ordre ? Quelle importance accorder à l’analyse visuelle, olfactive ou gusto-olfactive ? Quand peut-on parler d’équilibre… ?
La matière est vaste et nous tentons de placer des balises, à nouveau parfois déstabilisantes pour les membres de la troupe.
Je l’apprendrai plus tard, dans le calme apaisant de la nuit, Jean-Philippe avait poursuivi son travail d’artisan, préparant pour le lendemain un dessert qui restera gravé dans notre mémoire… Il est maintenant 11h et il lui reste peu de temps pour achever son œuvre.
La pluie nous éloignant du jardin, c’est dans la grande salle à manger que nous nous
regroupons. Pour mieux repartir à l’assaut. L’idée est de vérifier, par la mise en pratique des contenus théoriques abordés, que sous une même identité peuvent se présenter des vins aux visages extrêmement différents.
Deux riesling s’y emploient, avec succès, bientôt rejoints par des vins qui donnent une image nouvelle de leur appellation : un beaumes-de-venise rouge, qui s’apparente à un panier gourmand de petites baies sauvages et d’épices douces, et un fitou en dentelles, surprenant et si accessible.
La table est dressée, les vins du dernier repas sont prêts et le chef à peaufiné son ouvrage. On ne change pas une stratégie gagnante : deux vins seulement seront servis, destinés à tester leurs accointances avec les différents plats.
Pour achever l’exercice (et les forces en présence), un crémant d’Alsace 100% chardonnay, séveux, aérien et persistant, qui fait dire à certains que l’orgueilleuse Champagne pourrait parfois faire preuve de davantage d’humilité.
Les hostilités gargantuesques reprennent 1h30 plus tard avec une verrine de mousse d’avocat et brunoise de concombres, chips de pommes de terre.
Un délicieux mâcon-fuissé se présente, confiant, mais la douceur onctueuse de la verrine le domine outrageusement et le renvoie sans ménagement à ses études.
Impatient d’affronter le formidable craquant d’écrevisses à la crème d’ail, coulis de fines herbes, le bougre ne s’avoue pas vaincu, redresse la tête et se retrouve dans son élément face à cette entrée tout en contrastes, permettant de multiples associations.
A ce moment, notre mâconnais rappelle à ceux qui auraient osé l’oublier, que les pentes de la roche de Solutré, lorsqu’elles rencontrent des vignerons-orfèvres, peuvent donner naissance à des crus qui feraient pâlir plusieurs de leurs prestigieux voisins du sud de Beaune…
L’émincé de canette de ferme, poire fondante, chutney de fruits secs et chicon braisé s’annonce fièrement, face à un morgon de la célèbre Côte de Py présenté à l’aveugle, dont personne n’avait soupçonné la présence, tant sa concentration rappelait celle de certains crus célèbres de la Côte de Nuits. L’harmonie est plébiscitée, à l’unanimité.
La fin est proche et l’heure de la retraite se profile. Mais Jean-Philippe n’a pas dit son dernier mot…
Dans le silence nocturne de la veille, un terrible praliné pailleté et disque de mousse chocolat, glacé à la noix de coco est né. Plus de vin, cette fois. Nous avons rendu les armes.
Les mots manquent pour décrire cette douceur envoûtante mais décidément, derrière les portes de cet atelier de pâtisserie dont seul le maître des lieux a les clefs, se trament de formidables joutes secrètes…
Tout (ou presque) est dit. C’est l’heure du repli stratégique.
Il a plu ? On ne s’en est pas vraiment rendu compte. La température a chuté ? Même constat. Déjà fini ? On vient à peine d’arriver et nous avons vécu tant de partages, tant d’expériences sensorielles… Pour plusieurs membres de notre armée épicurienne, des portes se sont (ré)ouvertes. Et ce qui se profile à l’horizon a le visage d’une passionnante aventure…
Nous quittons nos charmants hôtes avec le sentiment du devoir gourmand accompli, rêvant déjà à d’autres champs de batailles.
Nous ne mangerons sans doute pas, ce soir… Il se dit dans les recoins de la vieille bâtisse qui nous a abrités qu’à partir de maintenant, pour les participants à cette formidable aventure, éclairée par le plaisir de l’échange, l’approche du vin ne sera sans doute plus jamais la même.
C’était mon objectif. Merci à tous d’avoir contribué à l’approcher avec tant d’enthousiasme et de confiance.
Q.
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Cher Quitou,
Que du plaisir à lire ce compte-rendu de notre wkend oenologique ! Tout y est narré avec finesse et doigté : les activités, le ressenti et les émotions, la gastronomie, les atmosphères ….On y croit et en fermant les yeux, tu nous rappelles les odeurs, les ambiances, les échanges, les êtres qui s’y sont croisés et rencontrés.
Un tout grand merci à toi pour ton soutien, ta sérénité à toute épreuve, ton professionnalisme, ta gentillesse et ta disponibilité pour chacun.
D’emblée, nous avions perçu entre vous (Véronique et toi) et nous une ressemblance, une connivence dans la sensibilité, l’envie de donner le Meilleur de nous-même et d’apporter du sens à la rencontre…Tu nous as conquis et l’histoire ne fait que commencer !
Mille mercis !
Marie-Catherine et Jean-Philippe
Merci surtout à vous deux, dont le sens de l’hospitalité et la chaleur de l’accueil ont rendu tout cela possible…
A très bientôt!
cela resume tout le coté paradisiaque de l endroit , divin
Ce n’était pas notre 1er we oeunologique chez Jean Philippe et Catherine mais ce fut pour nous le meilleur de tous !! grace à Jean Christophe quel moment merveilleux pleins de partage !!! merci encore et ……. à l’année prochaine !!!!
Ce we n’aurait pas eu le même visage sans ce que vous y avez apporté. Merci pour votre enthousisasme! J’espère avoir l’occasion de partager de nouveaux moments avec vous, autour du vin, avant 1 an…