Une petite fourgonnette attendue
Régulièrement, je l’attends avec une impatience non dissimulée… Lorsque la petite camionnette postale rouge et blanche trouve le chemin de notre contrée reculée, c’est de plus en plus fréquemment pour y déposer l’un ou l’autre échantillon, souvent sorti tout droit de régions tout aussi rurales. Malgré mon récent déménagement, il semble que notre facteur ait déjà compris ce qui anime mes occupations quotidiennes; il prend soin des envois et colis qui nous rejoignent. Je m’en souviendrai pour ses étrennes…
Le dénominateur commun des expéditeurs est leur volonté de faire connaître différentes facettes de leur production mais probablement aussi de découvrir les perceptions sensorielles d’autres palais que les leurs. Au-delà de la stratégie marketing, on ne peut que s’en réjouir.
Pour éviter toute ambiguïté, une précision : je n’accepte l’exercice que lorsque mon souhait de totale indépendance se voit totalement respecté. Ce fut le cas ici, avec la représentante d’une agence de communication chargée de faire connaître un produit phare de la Maison Sieur d’Arques, puissante cave coopérative bien connue située en terres languedociennes, dans le secteur de Limoux. Nous nous situons au sud de la cité de Carcassonne, à la croisée des influences océaniques et méditerranéennes. Pas moins de 270 vignerons contributeurs y unissent leur raisin au service de la gamme assez complète d’une structure de production qui a déjà prouvé à maintes reprises son expertise et un savoir-faire indéniable.
Crémant de Limoux, kézaco?
Cette cuvée est une méthode Traditionnelle (identique à la méthode champenoise) baptisée « Première Bulle » en raison d’une réalité historique qu’on se garde bien de souligner sur les versants parfois abrupts des coteaux qui encerclent Epernay. Parfois contestée, elle bénéficie toutefois de l’accréditation de nombreux historiens.
C’est en effet un moine bénédictin de l’Abbaye de Saint-Hilaire près de Limoux qui observa pour la première fois son vin blanc prendre la mousse de manière spontanée, après la mise en bouteille et le bouchage. Le « vin du diable » ou « lance-bouchon » devait encore être maîtrisé mais son destin effervescent était bel et bien engagé.
Plusieurs siècles d’histoire témoignent de l’évolution de cette pétillante production languedocienne, plus que probablement la plus ancienne au monde. Cerise sur le gâteau, il n’est pas inutile de rappeler que l’illustre Dom Pérignon est né un siècle après la première mise en bouteille de Blanquette. Les Limouxins sont sûrs de ce qu’ils avancent, aucune pression extérieure, fut-elle champenoise, n’y a rien changé. Un document authentifié, daté d’il y a 472 ans, et ressorti quelque peu empoussiéré en 2012 des archives départementales, ne laisse plus planer guère de doute à ce sujet. Il révèle en effet que dès 1544, c’est au Sieur d’Arques que sont livrés « six justes clarets pour son souper et quatre pinctes Blanquette et deux vins clairet pour son disner et pour quatre flacons de vin claret… »
Le français est ancien. Il peut paraître confus mais au-delà de la soif avérée du Sieur en question, le message est parfaitement clair.
Revenons au vin de la Cave du Sieur d’Arques
La cuvée « Première Bulle » Rosé est vinifiée en Brut. Le terme « Cremant » atteste de la présence d’une deuxième fermentation en bouteille, identique à celle qui est pratiquée pour la méthode champenoise. L’élevage sur lattes s’étend sur 12 mois. Trois cépages entrent dans son assemblage : le chardonnay, dominant avec ses 70%, le chenin, pour 20%, et enfin le pinot noir (10%) qui outre sa gamme aromatique propre, permet la prise de couleur du jus.
Notons que pour la Blanquette de Limoux en méthode traditionnelle Brut et celle qui est vinifiée en méthode ancestrale, c’est le cépage mauzac qui tient la vedette. Pour la méthode ancestrale, il est d’ailleurs le seul à pouvoir être utilisé.
Dégustons!
A la vue, la robe rose tendre se pare de reflets légèrement saumonés. Cordon fin et cheminement de bulles régulier, larmes fluides.
L’ ouverture évoque un registre plutôt végétal et floral (herbe, foin coupé, aubépine, acacia), associé à quelques effluves de fruits secs (amande). Au fil de l’aération, les fruits bancs mûrs s’imposent (pêche) pour laisser ensuite place à la douceur des saveurs pâtissières (frangipane, millefeuille aux poires). L’ensemble, bien que subtil, ne manque pas de complexité. Nous voici aux antipodes des arômes enjôleurs de confiserie à la grenade ou de barbe à papa sponsorisée par Haribo…
Dès l’attaque, le chardonnay se lâche sans réserve aucune. D’insistantes saveurs de noisette et amande fraîche dominent l’entrée de bouche, relevées par un support d’acidité tonifiant et épuré. La bulle, persistante, « nettoie » le palais, dans un ensemble bien typé brut, qui séduit par son élégance et son profil digeste. La finale, ciselée, rejoint un registre plus toasté et se voit relevée dans sa persistance par de jolis amers rafraîchissants.
Franchement, cette « Première Bulle » en Rosé a su me séduire pour un motif somme toute assez simple. Destinée à plaire à un large public, amateur de vins friands et gourmands, privilégiant le charme d’un fruité juvénile, elle parvient à associer élégance et profondeur, dans des gammes aromatiques qui s’éloignent du sucre d’orge très généreusement dosé trop souvent rencontré dans ce type de produit. Un vin tonique, doté d’une certaine complexité, qui fait honneur à son appellation. On le servira aux alentours de 8°C, pour le plaisir convivial d’un apéritif mais aussi en accompagnement de salades estivales, de la cuisine méditerranéennes (tapas, légumes farcis, poissons (daurade, rouget) ou de desserts non chocolatés.
Vous connaissez ma passion pour les cuvées champenoises. Il est parfois de bon ton d’abuser de l’analogie pour placer les fabuleux vins de Champagne face à de potentiels concurrents. Personnellement, je n’y ai jamais décelé le moindre intérêt. L’expérience, la culture du vin, les objectifs poursuivis, les cépages et leur expression dans chaque terroir sont par nature intransférables.
Dès lors, pourquoi ne pas considérer simplement que Le Cremant de Limoux possède une identité suffisamment forte pour exister par lui-même? Il ancre sa personnalité dans les racines d’un terroir languedocien qui nous offre par ailleurs de fort jolis vins blancs tranquilles, dont le berceau se situe en différents terroirs du Piémont Pyrénéen aux spécificités distinctes, baptisés Terroirs d’Autan, Océanique, Méditerranéen et de la Haute Vallée. La « Première Bulle » dégustée aujourd’hui m’a donné l’envie de les goûter à nouveau, de même que le Cremant Premium en blanc et la Blanquette de Limoux en Brut.
A bientôt, après la prochaine livraison de la petite camionnette rouge et blanche…
Q.
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- A Limoux, le Domaine Rosier, dont la particularité est que ses fondateurs sont d’origine champenoise…
- A Limoux, le domaine Antech, une maison de négoce qui travaille sérieusement
- A Cépie, le domaine familial du Château Rives-Blanques
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Rien que la couleur du Le Cremant de Limoux est très attirante… le gout de noisette et d’amande nous fait sentir le sous-bois…