Millésime 2010 à Bordeaux: L’incroyable s’est produit. Confirmation!
Drapés dans un orgueil qui pourrait bien leur causer quelques tracas en cas d’obstination, de trop nombreux crus classés du Bordelais ont pris le risque d’apporter une réponse inadéquate au niveau qualitatif très moyen du millésime 2011.
Ce coup de bluff n’a pas eu l’effet escompté. Les imprudents ont rapidement été sanctionnés par une vente en primeur qui a pris des allures d’échec quasi généralisé. Autant vous le confesser, je fais partie de ceux qui s’en réjouissent. L’équilibre du marché est en jeu et on ne peut raisonnablement regretter que les consommateurs sonnent la fin de la récréation spéculative des grands décideurs locaux.
Beaucoup d’acheteurs, et parmi eux les inévitables Chinois et Américains, ont donc fort logiquement décidé de ne pas suivre les très gourmands propriétaires girondins lors de cette campagne de primeurs qui donne généralement d’excellentes indications quant aux tendances du marché. La raison en est simple: les vins ont été proposés à des prix la plupart du temps peu en rapport avec leur qualité intrinsèque. Du côté de l’Estuaire, certains seraient bien avisés de relire quelques fables célèbres, dont celle qui conte les mésaventures d’une grenouille bien trop ambitieuse…
Voici donc une excellente raison de refaire le point sur l’évolution du splendide millésime 2010 à Bordeaux, dont certains très beaux flacons sont encore disponibles à la vente, tant dans les grandes surfaces que chez les cavistes.
Et pourtant, le défi était de taille… Le niveau qualitatif unanimement reconnu comme exceptionnel atteint par le millésime 2009 dans le Bordelais plaçait, avant l’heure, les crus de 2010 face à une mission jugée impossible : réussir à faire exister leurs qualités propres aux yeux de consommateurs encore éblouis par le remarquable bilan de l’année précédente.
L’histoire du vignoble Girondin n’en est pourtant pas à son coup d’essai. Gardons en souvenir de célèbres duos: dans l’entre-deux-guerres (1928- 1929) puis l’incroyable seconde moitié des années 80 (1985-1986 et 1989-1990).
Dans des styles différents, les fabuleux millésimes 2009-2010 possèdent tous les atouts pour former un duo digne de rejoindre la légende. Evoquer un millésime deux ans après les récoltes présente un double avantage. L’effet d’annonce n’est plus à craindre et les promesses évoquées pendant les vendanges et les vinifications trouvent leur écho de vérité dans la dégustation de vins qui laissent enfin tomber le masque. Les commentaires d’échantillons tirés sur cuve s’effacent devant le visage authentique du contenu des bouteilles mises sur le marché…
Les vins rouges
Au caractère solaire et très mûr, voire opulent des crus bordelais de 2009, le millésime 2010 répond par une profondeur plus importante, une grande tonicité due à des acidités plus présentes (année légèrement plus froide) et des charpentes tanniques qui, lorsqu’elles ne sont pas le résultat d’élevages excessifs, soutiennent des vins richement dotés et certainement bâtis pour une longue garde.
- La rive gauche: le résultat d’ensemble est grandiose. À confirmer d’ici 1 à 2 ans, mais de nombreux crus réussissent l’exploit inespéré de surpasser les 2009.
-
Graves et Pessac-Léognan: les rouges sont intéressants par leur classicisme distingué. Ils vieilliront mieux que les 2009, dont le charme enjôleur s’apprécie dès à présent, quoi qu’en disent certains propriétaires pour qui goûter leur cru avant 6 à 10 ans s’apparente au sacrilège.
L’intérêt de l’amateur averti s’orientera peut-être encore davantage vers les blancs, dont l’harmonie d’ensemble et la dimension en bouche révèlent, déjà à ce stade, de grandes promesses.
– Médoc: plus tendus à ce stade que leurs prédécesseurs, peut-être encore plus corpulents et tanniques, les vins semblent extrêmement bien constitués, construits pour affronter les ans avec une grande sérénité. N’hésitez pas à encaver ces magnifiques bouteilles, voire même à considérer les meilleurs d’entre elles comme un investissement.
- La rive droite: de magnifiques réussites chez les meilleurs mais une certaine tendance à un manque d’homogénéité dans la qualité. Dans ce secteur, la supériorité du millésime précédent reste établie.
-
Pomerol: bon millésime, sans toutefois atteindre le charme irrésistible des 2009.
-
Saint-Emilion : des crus très distingués, mais attention à certains déficits de maturité (notes herbacées) qui apparaissent ponctuellement. À choisir, ne pas hésiter et foncer sur les prodigieux 2009, qui ont pleinement bénéficié d’un millésime solaire en parfaite adéquation avec leur profil identitaire.
Les vins blancs
– Vins secs: le choix est vite fait. Leurs taux d’acidité les rendent immanquablement plus équilibrés et frais que les riches 2009. Nous sommes en présence d’un très grand millésime.
- Sauternes: pour les amateurs de liquoreux bordelais, ils se révèlent de parfaits complices des 2009. Certainement plus fins et faciles d’accès, ces flacons privilégient le charme d’un fruité juvénile très expressif et permettront d’attendre patiemment que les fantastiques réussites du millésime précédent offrent toute l’étendue de leur immense potentiel. Ces crus charmeurs et tendres représentent de belles réussites en 2010. Sans doute moins onctueux que les incroyables 2009 puissamment botrytisés, les meilleurs nous offrent une remarquable finesse et un parfait équilibre.
Compte tenu des profils nettement moins attractifs des millésimes 2011 et 2012 dans la région, les grands vins de garde du Bordelais de 2009 (de moins en moins faciles à trouver sans dépenser des fortunes) et 2010 (ne pas traîner!) représentent donc de très belles opportunités d’achat. On s’est arraché les grandes stars mais dans leur sillage évoluent de nombreux crus moins médiatisés, de qualité irréprochable et à des prix nettement plus doux.
N’hésitez pas à partir en quête de ces flacons, en gardant à l’esprit un adage reconnu pour sa pertinence et sa sagesse: « Acheter les grands noms dans les petits millésimes et ceux qui jouissent d’une moindre notoriété dans les grands millésimes ». Votre portefeuille vous en sera reconnaissant… à moins que vous n’en profitiez pour acheter davantage…
Ce splendide duo 2009-2010 représente aussi une réelle opportunité. N’avons-nous pas là une belle occasion de (re)découvrir ceux qui évoluent plus discrètement, à l’ombre de leurs encombrants et prestigieux voisins? Pourquoi ne pas plonger vers listrac-médoc, moulis-en-médoc ou les vins d’A.O.C. médoc et les graves moins connus sur la rive gauche et, pour la rive droite, sur la production de fronsac, canon-fronsac et castillon côtes-de-bordeaux, ou encore ceux du Blayais et du Bourgeais, de bordeaux-côtes-de-francs, lalande-de-pomerol et des satellites de Saint-Emilion (lussac, puisseguin, montagne, saint-Georges)?
Le choix ne manque pas pour ceux – et ils sont nombreux – qui ne s’identifient pas aux buveurs d’étiquettes.
Q.
Très intéressante balise pour nos dégustations, merci !
C’était l’objectif!