En dégustation, les coups de cœur sont, par définition, imprévisibles. Ils nous guettent au détour de chaque instant, de chaque verre, et le plus souvent lorsqu’on ne s’y attend pas. Cette attente contribue en grande partie à la magie de l’exercice.
Avant la première approche, visuelle, tout est encore à écrire et il faut le reconnaître, l’histoire manque bien souvent d’émotion, de typicité, de profondeur, de concentration, de persistance… Régulièrement, la promesse d’une robe, le charme d’un bouquet et puis… le vin parle, mais ses mots résonnent faiblement, se révèlent insipides, sans relief, sans vie… Alors, par respect pour le travail et les énergies qui lui ont prêté vie, mais aussi parce que l’exceptionnel ne peut être que rare, on le décrit, méthodiquement. Mais sans frisson. Par souci d’information.
Celui dont je vous livre le récit n’a pas dérogé à la règle. Il est arrivé ce samedi, sans prévenir, comme pour me faire oublier un ciel bien bas, digne de Brel.
Un inconnu désarçonnant…
Quand un ami m’a présenté le verre, le pétillement de ses yeux trahissait une attente. Manifestement, il l’avait déjà goûté… Et pour ne pas m’influencer, il a rapidement disparu, pour attiser les braises de notre barbecue d’hiver… Je ne le savais pas encore, mais c’était bon signe.
J’ignore d’où il vient, qui l’a imaginé puis lentement construit, mais lorsqu’il s’installe, cet inconnu annonce immédiatement la couleur. Ses éclats dorés scintillants pourraient trahir le sud… Je reste vigilant.
Le bougre n’a pas attendu que je me penche sur son cas. Sans hésiter, d’intenses effluves parviennent déjà à mes narines. Il est là, avant que j’aille le chercher. Cette fois, mes sens sont en éveil et je dois bien l’avouer, l’impatience l’emporte.
Sera-t-il à la hauteur de mes attentes ? Tant de déceptions pour quelques éclairs…
Sauvignon?
Dès l’ouverture, un puissant registre d’agrumes envahit l’espace. La fraîcheur est omniprésente mais la maturité du fruit est perceptible. Zeste d’agrume confit ? Oui, mais pas seulement… Complexe en plus ? A nous deux mon gaillard ! Au premier nez, pomelo et pamplemousse. Ces deux fruits, souvent confondus, rivalisent d’intensité. Puis l’horizon s’ouvre. Fleur de genêt, bourgeon de cassis, un peu de buis après la pluie… Je pense l’avoir démasqué mais pas de forfanterie, tout est encore possible. Un détail me titille : pour compléter le tableau, un peu de craie humide ou de pierre à fusil auraient été logiques. Mais non, j’ai beau chercher, pas la moindre petite poussière de silex. Rien ne sera facile, il déjoue mes plans et m’appelle à redoubler de prudence.
Ce nez est une promesse. Et si cette fois, on n’en restait pas là…
En bouche, plus de doute, le sauvignon livre tous ses atouts. Il dévoile une partie de son jeu. D’où vient-il ? L’absence de minéralité m’interpelle mais la décoction de jus de pamplemousse se confirme, assortie d’une touche de citron et de kumquat. Impressionnante harmonie car la texture aiguisée de l’ensemble, presque incisive, trouve son équilibre dans la douceur acidulée du fruit. Le vin se montre à la fois aérien et volumineux. Il offre tension en bouche et un toucher presque onctueux, mais pointu. Tout est paradoxe et complexité dans ce cru. Cette fois, je suis pris. J’observe les mimiques autour de moi et me sens moins seul. Le diable a manifestement conquis l’assemblée.
Autant le reconnaître, au moment où les premières émanations d’entrecôte grillée me parviennent, je me surprends à rêver d’une Fine de Claire du bassin de Marenne-Oléron. Je ravale mes désirs secrets et me console par ceci : « Allons, il se suffit à lui-même » !
Un parfum d’exotisme
Il reste encore un mystère à élucider. D’où vient-il ? Quelle contrée pourrait faire cohabiter tant de vivacité avec une telle douceur suave ? La Loire recule, vaincue, et dans son sillage, la Gironde fait de même.
Que nous reste-t-il ? Ailleurs, plus loin, peut-être très loin. Pas l’Amérique du sud, trop de vivacité.
C’est au moment où l’inconnu ponctue la dégustation d’une finale interminable sur le bonbon acidulé (genre Napoléon, vous vous souvenez ?) que le voile est levé : New Zealand… Sauvignon 2011 de la région de Marlborough…
Pureté d’expression… Leçon de précision !
Ensuite, tout va très vite. Le travail du grillardin étant achevé, nous débouchons les rouges. Ils auront fort à faire pour nous faire oublier la force lointaine de notre « Stanley Estates ». Un d’eux y parviendra, courageusement. Mais ça, c’est une autre histoire.
La beauté du coup de cœur réside aussi dans son caractère rare et éphémère. Je n’ai plus qu’à attendre patiemment le suivant…Vous serez tenus au courant, promis !
Q.
Pour découvrir les créateurs de ce vin, c’est par ici…
Et où peut-on trouver cette merveille? Et à quel prix?
Promis, je me renseigne…
Bonsoir,
Quel beau résumé de dégustattion . Cela me donne envie d’ouvrir une bonne bouteille, en espérant qu’elle me procurera les mêmes sensations.
Bonne continuation.
Gildo
Quand les mots invitent à utiliser le sommelier, c’est bon signe. Merci pour ce partage!
Mmmmh, quel festival d’aromes! On en a l’eau à la bouche!
Cela mériterait un voyage oenologique dans cette contrée!
Baud
Le vin a déjà permis l’évasion dans le verre… Mais sur place, effectivement, ce serait encore mieux!