A chacun son conclave

A chacun son conclave…

A l’heure où les orientations de toute la chrétienté se jouaient secrètement derrière les lourdes portes de la chapelle Sixtine, au moment où les regards de presque tous, y compris des non croyants, guettaient la couleur d’une fumée sans feu, je rêvais moi d’un autre conclave…

 

Une réunion tout aussi secrète de quelques-uns des plus grands cardinaux œnologues, à l’abri des regards, au sein d’un chai de vinification sans artifices mais bien équipé, duquel ils ne pourraient sortir avant d’avoir donné naissance, collégialement, à une cuvée qui serait le reflet de leurs multiples talents. Et la scène se déroulerait dans une contrée reculée, qui laisse place à l’esprit du terroir. Où exactement? Là où vous la rêvez. Là où le vin vous chante.

Le Pontife ainsi élu n’aurait rien de romain. Ni d’argentin. Après la traditionnelle prestation de serment, la main solennellement posée sur une belle cuve en inox thermo-régulée qui aurait été préalablement bénie par Saint Vincent, nos hommes de chai se mettraient au travail dans un but unique : donner le meilleur d’eux-mêmes au cours de cet extraordinaire acte de naissance qu’est la vinification.

Les acteurs de cette pièce ? Que du beau monde croyez-moi, et pour l’occasion, c’est avec un plaisir non dissimulé que nous ferions revenir parmi eux l’un ou l’autre maître en la matière, trop tôt disparu.

Tous les œnologues marquent de leur empreinte les cuvées qu’ils accompagnent. Chacun a « sa patte ». Interrogés au début des années 90 pour qualifier l’axe de force de leur esprit de travail, nos cardinaux rouges répondaient ceci…

 

Les secrets d’une extraordinaire cuvée…

Emile Peynaud : l’équilibre

Pascal Ribereau-Gayon : le classicisme

Michel Couasnon : la richesse

Jacques Boissenot : l’élégance

Patrick Léon : la texture

Georges Pauli : la volupté

Daniel Llose : la structure

Michel Rolland : la succulence

Jean-Claude Berrouet : la rigueur

Jean-François Chaîne : la franchise

…

Pourrions-nous imaginer ensemble ce que déclencherait du point de vue sensoriel une cuvée qui unifierait toutes ces qualités ?

Voici donc ces grands esprits enfermés dans un lieu qu’ils ne quitteraient qu’au moment où une fumée blanche annoncerait la naissance de leur œuvre commune.

Impossible pourtant de leur réserver l’exclusivité de la gloire que pourrait induire le fruit d’un tel conclave. Le premier rôle de la pièce (si j’ose dire) ne leur revient pas. Sans un bon raisin, pulpeux, mûr et parfaitement sain, le talent de l’œnologue ne peut vraiment s’exprimer que dans le cadre de « corrections ou de rattrapages ». Et nous savons ce qu’il faut de talent et de créativité pour nuancer ce que la nature a offert en excès ou trop faiblement, mais en respectant l’équilibre général du vin. Frustrations et désillusions sont souvent au rendez-vous.

Il peut être passionnant pour un œnologue de tirer le meilleur parti d’une vendange reflétant un millésime moyen mais ce plaisir est sans commune mesure avec les frissons ressentis par ceux qui prennent en charge un grain qui a le visage d’une promesse. Tous les vinificateurs rêvent du moût idéal, celui qui saura associer les typicités variétales aux nuances du terroir. Celui qui traduira, sublimera ou nuancera l’effet millésime. Celui qui laissera les dégustateurs sans mots, l’émotion prenant le pas sur l’analyse.

Alors oui, je me surprends à rêver d’un conclave de vinification où un raisin issu d’une vigne choyée par quelques viticulteurs au-dessus de tout soupçon, qui ont compris leur terre, serait adopté et transformé par nos cardinaux de grand talent. Ensemble et œuvrant dans une même direction, tout en jouant des tonalités différentes, inhérentes à leurs sensibilités, croyances et expériences.

Et il me plaît d’imaginer la dégustation d’un tel vin, qui m’amènerait à entrevoir l’œuvre dans sa globalité mais aussi dans le détail de ce que chacun de ces grands hommes y aurait introduit.

Autant le confesser, mon plaisir serait à son comble si, à l’image des bulletins électoraux brûlés dans le vieux poêle en fonte en service depuis 1939 au Vatican, la recette de vinification de ce vin hors du temps pouvait, elle aussi, aller rejoindre les flammes, comme pour pérenniser le caractère unique de cette cuvée mythique.

C’était mon rêve intime de conclave. Celui que je souhaitais partager. Il reste à chacun à imaginer où il se serait déroulé…

Nous pourrions aussi nous rappeler que le monde du vin, au contraire du microcosme du Vatican, a su très tôt ouvrir ses horizons. Pas encore à ce jour de pape asiatique ou africain ? Nous avons un vin jaune produit dans les « reculées » jurassiennes et un black wine qui naît autour des méandres du Lot. Pour la couleur ambre, on peut aussi voir venir ; les douces pépites du Roussillon en sont de dignes représentants. Le rouge et le blanc ne manquent pas mais ça, c’est une autre histoire. La frigidité vaticane, aujourd’hui nuancée par l’élection de François (premier du nom), pourrait prendre exemple…

A ce sujet, une anecdote amusante pourrait facilement être assimilée à un signe de l’histoire. Sur les pas de Charles VIII et de Louis XII, François Ier a, lui aussi, marché sur l’Italie avec son armée. Commandée par cet homme athlétique à la stature colossale, courageux et plein d’ardeur, les troupes écrasent les Suisses sans difficulté lors de la bataille de Marignan, en septembre 1515. Dans la victoire, le jeune roi est fait chevalier par le seigneur de Bayard et rentre au pays couronné de gloire et d’admiration. Un petit détail, notre homme est né à Cognac…

Et puisque l’Argentine se voit mise aujourd’hui à l’honneur, pourquoi ne pas participer à la fête de la chrétienté, croyants ou non, en partant à la découverte du fleuron local, le malbec, qui nous prouve aujourd’hui (surtout dans la province de Mendoza) qu’il ne se contente pas d’être un vin de fruit ?

Habemus vinum.

Q.